Libérez Britney Spears !

C’est l’une des plus grandes stars du monde, mais à 39 ans, elle n’a pas plus d’autonomie qu’une fillette de 10 ans. En 2008, pour la protéger d’elle-même et d’un entourage toxique, les juges l’ont placée sous la tutelle de son père. Depuis, la chanteuse a enregistré quatre albums et participé à autant de tournées. Alors qu’un documentaire sur Amazon Prime Video plaide sa cause, elle espère au moins changer de geôlier.

Plus d’interviews, de sorties remarquées, de photos. Britney Spears est devenue discrète. Trop. Elle n’a donné aucun concert depuis 2018, n’a sorti aucun disque depuis 2016. Son compte Instagram fournit bien quelques nouvelles à ses 28 millions d’abonnés. Là où Jennifer Lopez et Céline Dion ont su créer une interface policée donnant un aperçu étudié de leur vie de mère et de chanteuse, Britney poste des photos d’œuvres d’art kitsch, des citations mièvres, des selfies. Surtout, elle partage régulièrement ses vidéos en train de danser seule dans son salon. Des milliers de fans essaient de comprendre. Des théories qui frôlent le complotisme suggèrent même que Britney lancerait ainsi des appels à l’aide. Le plus intrigant reste la banalité de ses messages.

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Le 5 février 2021, un début de réponse se dessine. Le sérieux « New York Times » produit le documentaire « Framing Britney Spears » (« Piéger Britney Spears », disponible en version française depuis le 5 avril). Il révèle au grand public ce que des fans aguerris clament depuis des années : Britney Spears n’est pas une femme libre.

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À 39 ans, l’artiste n’a pas accès à sa fortune, estimée à plus de 60 millions d’euros. Elle n’a pas le droit de conduire, de consulter un médecin ou même de s’acheter un café sans demander l’autorisation à son père. Depuis treize ans, James Sparnell Spears contrôle ses contrats et son agenda, régule les allées et venues de ses visiteurs, choisit ses gardes du corps, ses avocats et son staff. Le tout aux frais de sa fille qui n’a légalement pas le droit de parler de cette tutelle, ni, donc, de s’en plaindre. La situation a été validée par un juge en 2008, l’année du grand effondrement, quand la chanteuse avait besoin d’aide.

Depuis ses 17 ans, Britney Spears est traquée, jugée, épiée. À la fin des années 1990, le marché des magazines pour adolescents explose, elle en sera l’une des figures de proue. À coups de mélodies entraînantes et de clips survitaminés, la jeune fille venue de Louisiane lance une opération de séduction massive à laquelle personne n’échappe, des paparazzis aux prépubères. Ses tubes deviennent cultes. En dix ans, elle accède au rang de légende.

Britney aime chanter, mais son rêve, confie-t-elle, est de fonder une famille. En 2004, elle voit le père idéal en Kevin Federline, un danseur fêtard et coureur de jupons. Elle l’épouse. Tombe enceinte. Sean Preston naît en 2005, puis son frère Jayden en 2006. Au même moment, Britney demande le divorce. Il sera vite prononcé, mais la question de la garde des enfants se révèle plus compliquée. La star souffre de dépression post-partum ; elle se console en faisant la fête avec ses copines Paris Hilton et Lindsay Lohan. Des soirées arrosées, évidemment documentées par les paparazzis. Et du pain bénit pour l’ex-mari, qui entend prouver combien Britney serait une mère indigne. Les fréquentations de la chanteuse deviennent douteuses. Elle se drogue, séjourne dans un centre de désintoxication. Un soir de folie, elle décide de se raser la tête. Son acte pourrait susciter la pitié ; il va déclencher la hargne. Un site Internet est spécialement créé pour parier sur la date de sa mort. Lorsque, le 30 janvier 2008, une civière l’emporte, immobilisée par des sangles, vers l’hôpital psychiatrique, plusieurs photographes à l’affût confient : « On s’en voudrait de voir passer un cadavre et de rater la photo. »

Quelqu’un va la sauver : son père. James Spears n’a pourtant rien d’un chevalier ou d’un père idéal. Il n’a jamais été proche de sa fille. C’est Lynne, sa mère, qui accompagne Britney chez Jive Records, son label depuis ses débuts. La seule fois où il a débarqué dans les locaux, c’était pour annoncer : « Ma fille va devenir si riche qu’elle m’achètera un bateau ! » Depuis les années 1980, la famille Spears croule sous les dettes. Dans cette région défavorisée, où de nombreux foyers frôlent le seuil de pauvreté, elle n’échappe pas à la règle. Lynne est institutrice ; James, alcoolique, peine à conserver un emploi. Lynne a demandé le divorce avant la naissance de leurs trois enfants, Bryan, Britney et Jamie Lynn. Puis s’est rétractée. Restent les bagarres verbales et physiques devant les enfants qui font office de public. Pour s’échapper, Britney se dépense sans compter. Très tôt, elle gagne des concours locaux de chant, de danse, de gymnastique et de beauté. Elle a du talent. Ses parents le comprennent. De sa carrière viendra leur salut. L’argent empoché est réinvesti dans les cours de danse et de chant. Tant pis si les dettes ne sont pas épongées ! Elle a 17 ans lorsqu’une maison de disques accepte pour la première fois de la signer.

Quand la babydoll débarque dans l’industrie musicale, tout semble jouer contre elle. Les boys bands triomphent et les chanteuses célèbres sont des divas, comme Whitney Houston. Son premier titre, « Baby One More Time », a été refusé par de nombreuses stars avant de lui être attribué. À une époque où les réseaux sociaux n’existent pas, où la télé-réalité n’est qu’à ses débuts, le succès est immédiat. La presse people s’empare de la nouvelle venue avec délice. L’Amérique est fascinée, la planète danse sur ses tubes et, déjà, Britney semble dépassée par sa propre popularité.

Elle n’en reste pas moins une pionnière. Celle qui va ouvrir la voie aux Katy Perry, Miley Cyrus et Lady Gaga. Sans doute n’avait-elle pas conscience du prix à payer : celui de sa santé mentale et de sa liberté. L’intervention de son père, aujourd’hui au cœur de la controverse, l’a sauvée du pire… sur le moment. Il vire le staff de sa fille, demande des ordonnances de non-communication envers ses managers véreux et valide en quelques jours une tutelle temporaire auprès d’un tribunal de Los Angeles. Trois mois plus tard, Britney s’est remise au sport. Elle enregistre des chansons et renoue avec ses fils, dont Kevin Federline a obtenu la garde. Comme pour défier le sort, elle présente un nouvel album le jour de son 27e anniversaire, l’âge auquel ont disparu Amy Winehouse, Kurt Cobain ou Janis Joplin… « Circus » se classera numéro un des ventes.

Britney, elle, n’exige en fait qu’une seule chose : la garde de ses enfants

Côté cour, le juge la place sous tutelle permanente. James Spears gère son bien-être ; son avocat, Andrew Wallet, gère son argent. Un autre avocat, Adam Streisand, a révélé au « New York Times » sa rencontre avec Britney Spears en 2008 : « Britney avait un jugement éclairé sur la situation. Elle comprenait ce qu’il se passait et savait qu’elle ne pourrait pas lutter. Elle n’a eu qu’une demande : que son père ne soit pas son tuteur. » Le juge refusera qu’il la représente. S’appuyant sur un rapport médical qu’Adam Streisand n’aura jamais le droit de voir, il argue qu’elle n’est pas en capacité mentale d’engager un avocat.

Britney, elle, n’exige en fait qu’une seule chose : la garde de ses enfants. Pour prouver qu’elle en est capable, elle cède à toutes les exigences. Sa mise sous tutelle en est le gage. En général, cette mesure est réservée aux personnes âgées ou mentalement inaptes à prendre des décisions, susceptibles d’être facilement influençables. Ce n’est pas le cas de la chanteuse qui, depuis 2008, a sorti quatre albums, fait autant de tournées mondiales et s’est assuré une résidence de quatre ans à Las Vegas. Elle serait atteinte d’une maladie mentale, ce que, jusqu’à ce jour, aucune expertise psychiatrique n’a prouvé. Certes, à l’époque de sa résidence à Las Vegas, le Caesars Palace, se méfiant de son instabilité, n’avait accepté de la programmer qu’à condition qu’elle soit sous tutelle. Mais, depuis, Britney a grandi. Et changé. En novembre 2018, lors d’une audience judiciaire, Andrew Wallet, cotuteur, donne une explication claire à l’incompréhensible pérennité de la situation : « L’activité financière de Britney s’est grandement accélérée en raison de l’accroissement de son bien-être et de sa capacité à s’engager davantage dans ses activités professionnelles. Les prochaines années promettent d’être très rentables. Cette tutelle doit être considérée comme un business model hybride. »

Mais voilà, la chanteuse se rebelle. Elle n’en peut plus d’être contrôlée, instrumentalisée, humiliée. Elle se bat depuis 2019 pour s’émanciper. Sam Ingham, l’avocat mandaté par la cour de Los Angeles, sort une nouvelle bombe en novembre 2020 : « Ma cliente m’a révélé qu’elle avait peur de son père. Elle ne montera pas sur scène tant qu’il sera en charge de sa vie. » Voilà Britney Spears en grève ! Ses fans demandent des comptes à de nombreux médias, notamment sur le traitement qu’ils lui ont réservé. Certains, comme « Glamour », lui ont d’ores et déjà présenté des excuses publiques. La cour supérieure de Los Angeles est, quant à elle, devenue depuis quelques mois le théâtre d’étranges rassemblements, aux cris de : « Libérez Britney ! » Mais James Spears n’est pas prêt à abandonner sa lucrative machinerie. Et joue, dès qu’il le peut, les pères outragés.

Le documentaire du « New York Times » a provoqué une véritable déflagration. La vague de soutien atteint une ampleur inédite

Le documentaire du « New York Times » a provoqué une véritable déflagration. La vague de soutien atteint une ampleur inédite. Et cela paye. Coïncidence ou pas, le 24 mars dernier, Britney Spears a officiellement déposé une demande pour que sa tutelle ne soit plus gérée par son père mais par une tutrice qualifiée, Jodi Montgomery. Mieux encore, le document révèle que Miss Spears « se réserve le droit de demander la résiliation de sa tutelle ». Une procédure longue. Elle sait qu’elle peut compter sur la persévérance de ses fans qui s’époumonent depuis des années. Pas pour chanter, mais pour hurler : « Free Britney ! »

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