Léna Situations, jeune femme plus influente de France : "Je veux rester maîtresse de mon contenu"

Avec plus de dix millions d’abonné·es sur Instagram, TikTok, Twitter et YouTube réunis, Lena Situations a un profil de reine de l’influence et un sourire de débutante. Ses fans connaissent les habitudes de celle qui est arrivée sur Internet à 15 ans : virées en trottinette électrique, fascination rétro pour la série Friends et arrêts réguliers chez Starbucks.

Ses vidéos façon journal intime mélangent les genres, passant de la surprise-party aux voyages, des défis aux bêtisiers et proposent volontiers des virées dans les défilés de mode. Avec un rire qui a tendance à fuser rapidement et une façon spontanée de décrypter tout ce qu’elle voit, elle offre quelques bulles d’allégresse et de légèreté aux Fashion Weeks réputées snobs.

« Elle est très importante parce qu’elle fait de la pédagogie comme Harper’s Bazaar dans les années 50, qui listait par exemple trente-six manières de nouer son foulard », explique l’écrivaine et journaliste mode Sophie Fontanel.

Lena Situations, reine de la mode et des réseaux 

Toute juste âgée de 25 ans, Lena Situations se révèle être une formidable communicante de proximité en partageant avec ses abonné·es sa joie de découvrir les coulisses du milieu.

Elle a le statut d’une rédactrice en chef sauf que son média, c’est elle-même. 

En dépit des chaussures à plateaux et des robes à sequins, elle lévite. « J’ai l’impression qu’il y a des hélicoptères au-dessus de chez elle pour lui parachuter des fringues pendant les Fashion Weeks, décrit le documentariste Loïc Prigent qui l’a prise sous son aile. Elle a le statut d’une rédactrice en chef sauf que son média c’est elle-même. »

N’osant pas aborder Anna Wintour à un défilé Balmain, il y a un an et demi, elle est désormais assise en face d’elle au défilé Vogue World, à New York, et a été, en mai dernier, la première influenceuse française à faire partie des VIP du Met Gala.

De Jennyfer à Dior, elle gagne sa vie en pactisant avec les enseignes. À quoi se sont ajoutés récemment une collection capsule pour adidas et le lancement de sa propre marque de streetwear, Hôtel Mahfouf, d’après son nom à l’État civil.

J’aime faire le pont entre deux générations : montrer aux personnes plus âgées que nous ne sommes pas que des zozos qui font des selfies et dire à ma génération que nos parents faisaient des choses géniales.

Les affaires tournent mais la météore du Net a tiré la sonnette d’alarme avant l’été, épuisée par les injures racistes et sexistes qui se sont propagées du Web à la vie réelle. Après un arrêt temporaire de Twitter et un exil de trois mois en Californie, elle revient avec le désir farouche d’ouvrir des perspectives.

Avec son premier podcast Canapé Six Places, lancé le 20 octobre 2022 sur Spotify, elle prend le temps de s’exprimer sans recourir au montage ultra-rapide de ses vidéos. « Mon podcast a failli s’appeler Sans Brief, une manière de ne pas trop structurer les choses pour pouvoir proposer des formats variés et me démarquer des médias traditionnels qui ont tous un brief et une direction artistique bien précis. On ne s’adresse pas à Phosphore comme à Marie Claire… Aujourd’hui, je parlerai comme une dame », promet-elle dans un sourire mutin.

L’hyperproductive Lena Situations

Marie Claire : Un podcast, un concept store, des baskets imaginées pour Adidas : ces derniers mois ont été particulièrement intenses. Comment allez-vous ?

Lena Mahfouf : J’ai l’impression d’avoir pris dix piges en un an… L’année prochaine, c’est la retraite ! Professionnellement, j’ai gagné en maturité. Je suis capable d’assumer une idée même si je suis la seule à la trouver bonne. Ma première victoire sur ce terrain ? Mon livre Toujours plus (Éd. Robert Laffont), sorti fin 2020.

J’ai commencé par supplier les attachés de presse de me laisser rentrer. 

Au départ, seuls Amazon et la Fnac s’y sont intéressés car ils connaissaient la puissance du digital. Les libraires n’en voulaient pas jusqu’à ce qu’ils voient des jeunes gens débarquer en magasin. J

J’aime faire le pont entre deux générations : montrer aux personnes plus âgées que nous ne sommes pas que des zozos qui font des selfies et dire à ma génération que nos parents faisaient des choses géniales. La salle de cinéma, par exemple : tu ris et tu pleures avec plein de monde en même temps, c’est confortable et il y a un super son.

Grâce à des vidéos truffées d’anecdotes personnelles, vous avez rendu accessible le milieu de la mode à vos abonné·es. Comment vous êtes-vous faufilée sur les “front rows” des défilés ?

J’ai commencé par supplier les attachés de presse de me laisser rentrer… En moyenne, j’avais quinze refus pour un feu vert. Le premier « oui », c’était Castelbajac. J’avais aussi réussi à me faire une place tout au fond chez Elie Saab. Depuis l’année dernière, je suis au premier rang. Souvent, on m’assoit à côté de Loïc Prigent, une vraie boîte à anecdotes.

Un jour, à Venise, on a visité la basilique Saint-Marc, un bonheur. Il m’a raconté que Gabrielle Chanel s’était potentiellement inspirée de la Pala d’oro, le retable doré derrière l’autel pour ses boutons. À côté des défilés Dior et compagnie, c’est important pour moi de soutenir des marques lancées par des petits jeunes comme Avellano (qui travaille le latex, [ndlr]).

D’où vient votre goût pour les allures singulières ?

Dans sa petite boutique de couture du 11e arrondissement, à Paris, ma maman faisait tout et n’importe quoi, même des costumes pour les éléphants de cirque. Sur sa carte de visite, c’était marqué : « De l’ourlet à la robe de mariée ».

Quand j’ai créé ma société, je ne savais pas faire une facture.

Je lui commandais des robes de princesse pour mes Barbie… Avec du recul, je dirais qu’il y avait quelque chose de similaire à ce que Giambattista Valli peut faire avec du tulle et du volume… Vers l’âge de 14 ans, je me racontais que j’étais influenceuse et je passais des coups de fil à mon faux assistant, Franck, qui ressemblait au majordome d’Une nounou d’enfer, pour lui demander de me trouver une tenue pour le Festival de Cannes : « Il faut absolument que tu me bookes un fitting chez Dior ! ». 

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L’invitation au Met Gala : une consécration ?

Dix ans plus tard, vous êtes invitée au Met Gala. Quel souvenir gardez-vous de cette soirée ultra-sélecte ?

Une pièce avec un nombre maximal de stars au mètre carré. Pas le droit de venir avec un +1, donc pas de publiciste, pas d’assistant, pas de maquilleur. Pas de photographes ni de smartphones. Juste des appareils photos jetables.

C’est important de marquer ma différence avec les influenceurs issus de la téléréalité.

C’était très chill, on pouvait papoter avec les Kardashian, Kim compris ! Bizarrement, j’ai vécu des évènements avec des gens beaucoup moins importants qui se la pétaient beaucoup plus qu’Hillary Clinton et Anna Wintour au Met Gala. Derrière le glamour, le gros œuvre…

Cela n’a pas été trop dur de créer votre société toute seule ?

J’ai étudié dans une école de commerce (l’Institut Moda Domani, spécialisée dans la mode, [ndlr]) où j’ai appris le théorème de Pythagore et la communication mais pas comment gérer un business rentable. Quand j’ai créé ma société, je ne savais pas faire une facture. Dans ma famille, on était tous perdus ! Ni mon père, un comédien marionnettiste qui fait des spectacles pour enfants, ni ma mère en autoentreprise, ni ma tante, ni mon oncle ne savaient comment faire…

J’ai juste une certaine intelligence quand j’ai besoin de m’aider moi-même.

Mes parents n’ont jamais été propriétaires de quoi que ce soit mais ils ont essayé de comprendre comment tout ça fonctionnait. Mon père m’a aidée à la compta. J’ai proposé de l’embaucher mais il n’a pas voulu. Depuis peu, j’ai une assistante, cinq ou six employés pour gérer Hôtel Mahfouf, qui a grossi plus vite que moi, et je travaille avec des freelance pour la création de sites web. Quand je fais passer des entretiens d’embauche, j’essaie de ne pas me baser sur le traditionnel CV mais sur l’envie des candidats, le message qu’ils veulent faire passer et la manière dont ils peuvent trouver des solutions.

Business woman qui n’a "pas lâché l’affaire"

Au générique de vos vlogs, on peut lire « production du bled », un nom qui évoque vos origines. Allez-vous souvent en Algérie ?

Quand j’étais petite, je passais tous les étés à Alger. Aujourd’hui, c’est différent. Ma maman est en rémission d’un cancer, elle s’est fait opérer, elle reste fragile et ne peut plus prendre l’avion. Je me souviens de la maison de ma grand-mère où tous les animaux du coin passaient. Il y avait des perruches, des lapins, des chèvres, des chiens…

Mon lieu préféré, c’était le magasin de DVD – deux euros pièce parce que c’était illégal. Comme j’étais fan des séries Disney, je ramenais la dernière saison de High School Musical à mes copains, à la rentrée. C’est aussi à cette époque que j’ai appris à pirater des sites pour enfants parce que mes parents ne pouvaient pas payer Disney Channel.

J’étais une geek de ouf ! Je suis faite pour l’ordinateur. Pour moi, c’est simple : Photoshop, le montage, j’ai appris toute seule. Un jour, j’ai codé un site. Mon petit frère sait très bien faire ça, il est surdoué, c’est vérifié. Moi, j’ai juste une certaine intelligence quand j’ai besoin de m’aider moi-même.

Quand vous faisiez des petits boulots pour payer vos études, vous aviez déjà l’esprit d’une business woman ?

Le baby-sitting, c’était alimentaire mais je ne lâchais pas l’affaire. Je me souviens d’un papa qui était rentré bourré à six heures du matin avec juste de quoi me payer trois heures. Tous les jours, je venais chez lui : ‘Tu as l’argent ? Tu as l’argent ?’.

J’ai beau être une femme d’affaires, j’ai besoin de ma maman pour me réconforter.

Il a fini par me donner les sous. Ensuite j’ai fait un stage chez AD Crew, une agence d’influenceurs qui représentait Bilal Hassani. J’étais un bébé mais je ramenais des contrats. À un moment, l’agence a fait une collaboration avec Kylie Jenner qui devait avoir douze millions d’abonné·es sur Instagram… On avait bien bossé pour trouver les contacts et j’ai signé le contrat. C’était au moins 100 000 euros le post pour une montre.

L’influenceuse influençable

Pourquoi avez-vous décidé de ne pas avoir d’agent ?

Mon école a coûté une blinde à mes parents alors maintenant que j’ai un business, je ne vais pas le mettre dans les mains de quelqu’un d’autre. Et je veux rester maîtresse de mon contenu. Même si tu n’es pas convaincue, un agent peut t’inciter à accepter une collaboration parce que c’est bien payé… Comme je suis de nature très influençable, je m’en protège.

Je préfère signer des contrats à plus long terme qui me donnent plus de temps de création même si ça rapporte moins. Au moins quand ça sort, comme mes paires Adidas, je suis fière. Par contre, je ne sais pas m’arrêter. Je comprends que je suis fatiguée quand c’est trop tard. Quand je tombe malade, j’ai beau être une femme d’affaires, j’ai besoin de ma maman pour me réconforter. J’ai fait l’erreur de commencer à travailler dans mon lit. Psychologiquement, ma chambre est devenue mon bureau… C’est un peu angoissant alors je dors sur mon canapé.

En septembre dernier, un numéro de Complément d’enquête a évoqué des pratiques douteuses chez les influenceurs. Comment éviter les abus ?

Toutes mes sociétés sont en France, mes impôts sont payés en France. En tant que créatrice de contenu, c’est important de marquer ma différence avec les influenceurs issus de la téléréalité qui ont construit leur audience du jour au lendemain après un passage télé. Ils sont à Dubaï et vendent sur le Net des produits de contrefaçon et de « drop shipping » (qu’ils ne possèdent pas).

Tous mes copains m’appellent « mère Mahfouf ».

Quand j’ai commencé, c’était le Far West… On essayait tous de comprendre comment ça marchait. Le métier commence à peine à être légiféré. C’est désormais obligatoire de mentionner les partenariats rémunérés sur Instagram mais il y a encore beaucoup d’abus. Évidemment, il n’y a pas de newsletter de la loi qui te dit : « Coucou les influenceurs, il y a du changement… » Tu dois faire tes recherches par toi-même.

Vous êtes bien entourée : Marcus, Solène et d’autres amis apparaissent dans vos vidéos. Comment ont évolué vos rapports avec le succès ?

Depuis que je gagne de l’argent – cela fait trois ou quatre ans – j’ai l’énergie d’une maman.Tous mes copains m’appellent « mère Mahfouf ». Comme je considère que les sous sont faits pour être partagés, c’est moi qui organise les vacances : je vais penser à prendre les sandwichs pour la voiture ou booker un hôtel.

J’ai besoin d’être seule pour recharger mes batteries mais quand j’ai quitté l’appartement familial, la première chose que j’ai achetée, c’est un canapé six places genre Friends pour qu’on soit ensemble.

Solène est infirmière à l’hôpital. Évidemment, je ne peux pas tellement aller sur son terrain d’autant plus que j’ai la phobie des médecins et des pharmaciens depuis que ma mère est tombée malade. Mais elle a des anecdotes amusantes… Quand elle faisait un stage en Ehpad, elle me disait toujours : « Lena, mets de la crème parce que, là, je vois à quoi ressemblent les corps qui n’ont pas été bien hydratés ! »

Santé mentale, sexisme et racisme

Une autre question, moins cosmétique, vous anime depuis quelque temps suite aux injures racistes et sexistes que vous avez subies : la santé mentale.

À la maternelle, le maître ou la maîtresse nous demandaient comment on se sentait et on montrait un smiley avec un grand sourire ou un smiley triste. Par la suite, on a arrêté de nous poser la question en attendant une réponse sincère. Pourtant les problèmes arrivent en grandissant. La santé mentale nous concerne tous.

C’est important de comprendre ce qui se passe dans nos têtes. J’ai toujours voulu comprendre… C’est sans doute pour cette raison que j’étais nulle en maths. Je ne comprenais pas pourquoi on cherchait X. Au contraire, j’adore les livres de psychologie. Suite aux difficultés que j’ai rencontrées, je suis partie trois mois à Los Angeles.

Je suis une petite de 25 ans.

Je n’étais pas du côté Hollywood mais à Melrose où il n’y avait pas un chat à part des meufs bien habillées qui allaient faire du sport. J’ai apprécié pouvoir me balader et prendre du temps. Ça manquait un peu d’animation… pas grand-chose à faire à part les musées de stars ! Presque un monde virtuel.

Est-ce que le métavers vous tente ?

Je n’ai pas bien compris ce que c’était… Je sais que c’est un comble pour une influenceuse de dire ça mais je prends plus de plaisir dans la vraie vie que dans le digital. Un jour, une marque m’a proposé de m’offrir une robe dans le méta-vers. Je devais leur envoyer une photo de moi en lingerie couleur chair pour qu’ils me mettent une robe sur la photo. Je leur ai dit : « Je préfère avoir la robe en vrai ! »

De la même manière que vous portez vos toutes nouvelles baskets Adidas by Lena Situations… Dix jours avant le lancement de cette capsule, la marque mettait fin à son partenariat avec Kanye West suite à ses propos haineux. Lorsqu’on est suivi par des millions d’abonné·es, la responsabilité de ce qu’on dit est immense. Sentez-vous une forme de pression ?

D’abord, je ne vis pas la même pression que Kanye West, et surtout, je ne vais jamais sortir des atrocités racistes et antisémites ! C’est tout sauf moi. Je pense aussi que le cas Kanye West est à part. C’est quelqu’un qui est malade (il a été diagnostiqué bipolaire en 2016, [ndlr]).

J’ai la pression de faire les choses bien et de dire « purée » au lieu de « putain » pour les enfants qui me regardent. Mais je n’ai pas besoin d’être dans tous les débats politiques et socio-économiques. Je fais des vidéos sur YouTube et, à la fin de la journée, je suis une petite de 25 ans.

Cette interview a été initialement publiée dans le Marie Claire numéro 844, daté janvier 2023. 

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