Le jour où les soeurs Pisier débarquent à Cuba et rencontrent Fidel Castro

En 1964, Una Liutkus, étudiant à Sciences Po, embarque son amie Evelyne Pisier et sa sœur Marie-France dans un périple à Cuba organisé par l’Union des Etudiants Communistes. Au cours de cette équipée sur les traces de la révolution, Bernard Kouchner rencontre Evelyne qui, en 1970 deviendra sa femme et la mère de trois de ses enfants.

Alors qu’il a des vues sur cette blonde incendiaire, celle-ci se jette à corps perdu dans une histoire d’amour passionnelle avec Fidel Castro. Comme le précise Camille Kouchner dans La familia grande, son père se console dans les bras de Marie-France. « Pendant ce temps, mon père aime ma tante, je crois. Ma tante occupe mon père. »

Ce voyage mythique est immortalisé par Una Liutkus qui photographie les sœurs Pisier en bikini sur les plages de la Révolution et aux côtés de Fidel. Pour Marie Claire, il accepte de partager ses souvenirs de Cuba et d’après. 

Marie Claire : Una Liutkus, vous êtes niçois, et en 1964, vous connaissez bien la famille Pisier qui y vit également.

Una Liutkus : Oui, nous étions un groupe de cinq ou six copains, on se voyait tout le temps. J’étais plus proche d’Evelyne qui avait mon âge. Marie-France était la petite sœur, elle ne participait pas à nos discussions. On est partis à Cuba, les deux filles, Jean Pierre Osenda et moi, la bande des quatre Niçois dans un groupe d’une soixantaine d’étudiants.

À quel moment Evelyne rencontre-t-elle Fidel Castro ?

Après le discours du Comandante, le 27 juillet 1964 à Santiago. Laissez-moi vous décrire l’atmosphère. Il y avait des milliers de cubains rassemblés Place de la Révolution. On nous avait installés dans une tribune exactement sous les officiels. Je vois un type avec un cigare, un béret et une étoile sur le béret. Je ne l’avais jamais vu, je demande qui c’est. Che Guevara ! Il y avait aussi Raul Castro bien sûr, qui pionçait, et le Che qui regardait le ciel en fumant cigare sur cigare. Toute la nuit. On a regagné en bus les maisons où les Cubains nous avaient installés.

Et ?

Et là, ça devient sérieux. On s’assoit, les soeurs Pisier, Jean Pierre et moi pour dîner. La porte s’ouvre, Fidel ! Grand, baraqué, en uniforme kaki et rangers, une armoire.

Quelle impression vous fait-il ?

Il n’avait que 39 ans à l’époque. Imaginez un Centaure à la voix qui porte, une voix douce. Il avait un charisme incroyable. « On va se revoir dit-il, je vais suivre votre voyage. » Dix minutes plus tard, il était parti.

Entre alors un soldat, qui vient s’accroupir à côté de nous. « El comandante voudrait vous voir ce soir. Faites semblant d’aller vous coucher, rendez-vous à minuit. » Nous prévenons Bernard, et on se retrouve à une petite dizaine, à attendre en fumant des clopes sous un manguier. Trois grosses Buick arrivent, nous les quatre Niçois, on s’entasse en vrac dans une voiture. Je sens de la ferraille sous mes pieds, des armes. On arrive devant un bâtiment tout allumé. On nous propose du rhum, de la bière, du Ginger Ale, de l’eau, Fidel nous demande : « Qui êtes-vous ? ».

Presque tous les soirs, Fidel envoyait quelqu’un chercher Evelyne.

On discute toute la nuit, le jour se lève, Fidel nous envoie nous coucher. En arrivant dans nos dortoirs, on se rend compte qu’Evelyne n’est pas là. Elle s’est pointée vers 13 heures : « Fidel m’a demandé de rester. » Et là elle nous raconte, ses doigts de pianiste, sa douceur, sa gentillesse, « le bruit très érotique du ceinturon avec le pistolet qu’il jette avant l’amour ! ». Presque tous les soirs, Fidel envoyait quelqu’un chercher Evelyne.

Et Marie-France, comment prenait-elle l’idylle de sa sœur ?

Elle s’emmerdait un peu. Elle était folle amoureuse de Robert Hossein, elle est partie à la moitié du voyage le rejoindre dans une villa du Cap Ferrat. Le 13 août, on va voir Castro avec Evelyne, Bernard Kouchner, Michel Fennetaux et deux ou trois autres. C’était l’anniversaire de Fidel. Evelyne le regardait comme mon chat me regarde. C’était l’embrasement !

À un moment, Castro n’a plus de cigares. Il regarde sa montre, une grosse Rolex en or. C’était son truc les Rolex, il en distribuait aux gens qu’il voulait récompenser. Bref, la pénurie de cigares… Fennetaux sort un paquet de Winston. Des cigarettes américaines ! Fidel a fini par les fumer !

Vous l’avez revu après ?

Il a invité le groupe pour une sortie en mer sur un yacht en bois des années 30, qui avait appartenu à un trafiquant de drogue. Il y avait une photo de Lénine dans le carré. On a pêché des langoustes avec Fidel, déjeuné avec lui. On a chanté la Marseillaise. Il nous a dit que la grande erreur de la Commune était de n’avoir pas pris la Banque de France. Dans une Révolution, il faut prendre le fric !

Combien de temps a duré la liaison d’Evelyne Pisier et Fidel Castro ?

Ils se sont écrit pendant quatre ans. Fidel a invité sa mère Paula à Cuba, et Evelyne n’y est retournée qu’une fois. Quant à Marie-France, je l’ai très peu revue après ce voyage, mais Evelyne et moi sommes restés proches jusqu’à sa mort.

On a pêché des langoustes avec Fidel, déjeuné avec lui. On a chanté la Marseillaise.

Avez-vous connu Olivier Duhamel ?

Oui, j’ai été invité une fois rue Joseph Bara à Paris, où Evelyne et lui vivaient. La rencontre a été désastreuse. Dès le début, j’ai été blacklisté. Quand elle était à Sanary, elle m’appelait parfois. « Viens me voir, Olivier n’est pas là. »

Avait-elle changé ? Reconnaissiez-vous votre amie de jeunesse ?

Elle était comme maraboutée. Il ne la poussait pas à boire, mais il l’a alcoolisée. C’est un type méchant, agressif. Il y a quand même deux mortes autour de lui. Et trois blessés graves, les enfants d’Evelyne et de Bernard (NDLR : en 2011, une enquête avait été ouverte après la mort tragique de Marie-France Pisier. À l’époque, le fils d’Evelyne Pisier est entendu par la brigade des mineurs de Paris après la découverte de mails entre sa mère et sa tante qui relatent des faits d’agressions sexuelles de la part d’Olivier Duhamel son égard. Ce dernier refuse de porter plainte. L’affaire a été classée sans suite).

Pensez-vous que Marie-France Pisier se soit suicidée ?

Je pense qu’elle s’est laissée mourir. Sous médicaments et alcoolisée, elle a dû tomber dans la piscine et se dire : « Ils me font tous chier, qu’ils se débrouillent sans moi. »

Quelle a été la réaction d’Evelyne à la mort de Marie-France ?

Elle m’a appelé tôt ce matin-là, en fureur. « Tu as vu cette salope ? Elle m’a laissé tomber. »

Retrouvez notre story « À la recherche de Marie-France Pisier » page 98 de votre magazine Marie Claire n°824, en kiosque depuis le 1er avril 2021. 

26 juillet 1964 : avant de monter à la tribune où va parler Fidel Castro, Evelyne Pisier prend la pose

Evelyne Pisier prend la pose entre Lénine et José Marti à sa gauche et Fidel Castro et Antonio Maceo à sa droite.

Marie-France Pisier, rêveuse à Santiago où ils habitaient durant leur séjour à Cuba

Alberto Korda et Marie-France Pisier lors d’un match de baseball dans lequel joue Fidel Castro

Sur un yacht, au large de Varadero, Fidel Castro et Evelyne Pisier à table

Sur un yacht, au large de Varadero, Fidel Castro et Evelyne Pisier à table, après que Fidel ait pêché et cuisiné des langoustes.

Una Liutkus et Fidel Castro à bord du yacht

Evelyne Pisier et Fidel Castro à bord du yacht

Evelyne et Marie-France Pisier sur la plage de Santa Maria del Mare

Elles sont les premières à porter des bikinis à Cuba, ce qui entraine un attroupement autour d’elles.

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