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Laurent Lafitte : "La famille est en général idéalisée, alors que c’est un monde assez cruel"
Il est tard et nous serons peut-être arrêtés par la police du confinement. Laurent Lafitte nous a donné rendez-vous à l’ombre de la basilique Sainte-Clotilde, dans le restaurant de l’un de ses amis, transformé pour l’occasion en speakeasy ambiance prohibition. Assis au bar désert, le comédien commande pour nous deux Moscow mules bien frappés (vodka, ginger beer et jus de citron vert).
Son premier film, victime de la crise sanitaire
Le comédien de 47 ans entame l’entretien un peu sonné. La nouvelle est tombée : la fermeture des salles de cinéma et de théâtre est prolongée jusqu’à nouvel ordre. L’origine du monde, son premier film en tant que réalisateur, une farce « hénaurme » et tragique sur la famille, ses petits et grands inconvénients, ne sortira peut-être pas le 10 février. Cette sombre perspective ne l’emballe pas.
« Je ne vais pas jouer au plus malheureux, mais dans notre métier on travaille dans l’ombre pendant des mois, voire des années pour le cinéma, et un jour arrive enfin le rendez-vous avec le public. Mais là, tout est bouleversé et, psychologiquement, c’est difficile à vivre. De plus, le confinement atrophie l’imaginaire, la légèreté, le plaisir, la possibilité de créer, alors que nous faisons un métier basé sur la sensibilité, sur l’énergie des uns et des autres. »
Le confinement atrophie l’imaginaire, la légèreté, le plaisir, la possibilité de créer.
Laurent Lafitte accompagne ces mots du bruit des glaçons qui tintent dans son verre, comme un rappel aux temps anciens. Le pitch de L’origine du monde, adapté d’une pièce de Sébastien Thiéry, qui a failli s’appeler La chatte à ma mère – hé oui ! – ne peut être dévoilé au risque de « spoiler » une intrigue dingue faisant la part belle aux très laids secrets familiaux.
« Derrière les apparences, la saloperie au sein de la famille n’est pas toujours là où l’on pense qu’elle se niche, poursuit Laurent Lafitte. La famille est en général idéalisée, alors que c’est un monde assez cruel. Que signifie ce lien imposé par la société ? Avec ce qu’elle comporte d’omerta, la famille est un endroit de réconfort et d’empêchement »
« Ce n’est pas ma fonction d’évoquer ma vie hors scène. Je ne me sens pas au bon endroit pour ça, du coup les gens pensent que j’ai des choses à cacher. Mais non ! Dans la vie, j’ai plutôt tendance à m’ouvrir, à me confier très facilement.”
De la comédie au drame
Élevé à Paris avec une soeur et deux demi-frères dans le milieu « de la moyenne bourgeoisie, avec des réflexes d’épargne, de préservation » par des parents classiques bien qu’accommodants, biberonné aux séances télé d’Au théâtre ce soir et du Cinéma de minuit, Laurent Lafitte arrête le lycée en seconde avec une certitude : comédien sinon rien.
« Mes parents étaient un peu inquiets, mais ils connaissaient mon caractère à la fois très indépendant et très décidé. Ils m’ont dit : ‘Tente les cours de comédie si tu veux, vas-y ! De toute façon, tu te débrouilleras toujours dans l’existence !’ Ils pensaient que quoi qu’il arrive, je m’en sortirais. »
Ils n’avaient pas tort. Deux fois nommé aux Césars(2) sans en avoir encore remporté (« Je n’en garde aucune amertume, au contraire, c’était super à chaque fois car ça voulait dire que la profession m’avait remarqué »), Laurent Lafitte s’est vu remettre le graal de nombreux comédiens : son intronisation en tant que pensionnaire à la Comédie-Française. Passé avec une aisance inattendue du registre du type marrant au voisin inquiétant dans Elle de Paul Verhoeven, Laurent Lafitte est devenu une valeur sûre du box-office, connu et apprécié des plus jeunes à ceux qui le sont moins.
Mystérieux sur sa vie privée
Il est pourtant un mystère Lafitte : une vie ultra-cadenassée sur laquelle on ne sait rien. Un silence qui pourrait prêter à des explications fantasmées, et dont il se moque. Le comédien s’en explique volontiers, alors que surgit le deuxième Moscow mule. Au barman : « Vous êtes de mèche tous les deux pour me faire parler ? »
Les spectateurs ne sont pas mes amis. Je ne fais pas semblant d’être le leur, je leur fais des propositions artistiques auxquelles ils adhèrent ou pas.
Plus sérieusement : « Ce n’est pas ma fonction d’évoquer ma vie hors scène. Je ne me sens pas au bon endroit pour ça, du coup les gens pensent que j’ai des choses à cacher. Mais non ! Dans la vie, j’ai plutôt tendance à m’ouvrir, à me confier très facilement. D’un point de vue pragmatique, je pense qu’un acteur a intérêt au secret. Comme le remarquait le cardinal de Retz : ‘On ne sort de l’ambiguïté qu’à ses dépens.’ Quand je vois ces acteurs qui n’arrêtent pas de parler de politique ou de leur vie privée, ça me coupe tout désir de les voir jouer, et quand ça m’arrive, je ne fais plus le distinguo entre la personne qui joue et la personne publique. Je n’exerce pas ce métier pour avoir plus d’amis en confiant mon intimité. Les spectateurs ne sont pas mes amis. Je ne fais pas semblant d’être le leur, je leur fais des propositions artistiques auxquelles ils adhèrent ou pas. »
Rire et aimer faire rire
On se souvient de son intervention amusante aux Césars 2019, avec son visage faussement refait comme gonflé à l’hélium, et de celle, plus controversée, au festival de Cannes avec son parallèle entre Woody Allen et Roman Polanski. Laurent Lafitte convient que l’exercice est difficile et que, peut-être, sa place n’était pas là, à donner les bons et mauvais points.
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« Ce que je regrette n’est pas tant ma vanne que le fait qu’on n’aurait pas dû faire appel à moi, qui ai pourtant tendance à raconter des conneries toute la journée. Cannes doit rester un sanctuaire, où l’ironie appuyée n’a peut-être pas sa place. Je prends très au sérieux la question du rire, qui est un domaine subjectif. Je pense qu’on pleure plus des mêmes choses qu’on rit des mêmes choses. Il ne faut pas chercher l’humour universel sinon on est mort. On doit être précis, sinon ça ne marche pas, et aller dans l’outrance. On fait plus rire avec un cancer de la gorge qu’avec une angine. »
Rire et aimer faire rire ne signifie pas que cet homme sensible et intelligent s’abstrait d’une réalité, complexe. « Le combat des femmes me préoccupe beaucoup. Je le comprends tout à fait. Mais mettre en parallèle les qualités et les défauts de chaque sexe ne veut rien dire. J’ai vu des comportements détestables de part et d’autre. Nous avons tous nos torts, nos vices, nos défauts. L’homme a une supériorité physique sur la femme, qui passe par la violence, la contrainte, le pouvoir. La femme a aussi une énorme part de pouvoir dans le fait de choisir, ou non, de donner la vie, sans avoir besoin du consentement de l’homme. Mais j’ai toujours du mal avec les discours réducteurs, même si ça vient d’un vrai problème, l’égalité des sexes dans notre monde, et on est loin du compte. »
Le discours est soudain empreint d’une gravité assumée. Un troisième Moscow mule pour la route, avant que nos chemins se séparent dans la nuit froide et déserte. Le bruit des glaçons comme une petite musique de chambre agréable, en ces temps si singuliers.
1. L’origine du monde, avec aussi Karin Viard, Vincent Macaigne et Hélène Vincent.
2. Nommé au César du meilleur acteur dans un second rôle en 2017 pour Elle de Paul Verhoeven, et en 2018 pour Au revoir là-haut d’Albert Dupontel.
14 questions avant la nuit
Marie Claire : Dormez-vous bien la nuit ?
Laurent Lafitte : Plutôt bien.
Votre boisson et nourriture nocturne ?
Le Moscow mule comme vous pouvez le constater. (Rires.) Je ne mange pas la nuit. Je suis un acteur, je suis comme les Gremlins, il ne faut pas me nourrir après une certaine heure.
Vivez-vous sous une bonne étoile ?
Oui, bien sûr.
Votre mère vous embrassait-elle avant de dormir ?
Oui, et il y avait toujours une négociation pour la lumière du couloir, la porte entrouverte mais pas trop.
La nuit efface-t-elle le jour et les soucis ?
Oui, sauf lors des périodes d’angoisse qui me tombent dessus parfois, dans ce cas, la nuit amplifie tout.
Que trouve-t-on sur votre table de nuit ?
Une boîte de Lexomil. Des boules Quies, une petite veilleuse pour lire. En ce moment des bouquins sur Molière. Mon portable en mode avion.
Quels carburants après minuit : alcool, drogue, sexe, sucre, Xanax ?
Alcool, sucre, sexe, oui, mais pas en même temps. Xanax, non. Drogue, pas du tout. J’aurais peur de voir ressurgir une psychose enfouie, de déclencher un truc grave genre crise de schizophrénie.
La dernière fois que vous vous êtes couché tôt ?
Pour moi, tôt, c’est avant minuit. En période normale, c’est rare mais en ce moment, comme les théâtres sont fermés, ça m’arrive.
Boule à facettes ?
J’ai rarement aimé les boîtes parce que je ne sais jamais comment m’y comporter, on est obligé de se hurler dans l’oreille pour se faire comprendre, les blagues tombent à plat. Si c’est pour draguer, non merci ! Pour danser ? Il faut que j’aie bien bu, mais c’est vrai qu’une fois que c’est parti, c’est parti ! (Rires.)
Le parfum de la nuit ?
L’odeur de l’oreiller, un mélange d’odeur de lessive et de peau, cette sensation de l’oreiller un peu frais.
La nuit la plus dingue ?
Une nuit de Fête de la musique. Je casse ma clé dans la serrure en quittant mon appart avec mon chien. Dans le taxi qui m’emmène chez des amis, je me rends compte que j’ai oublié mon portefeuille. Je ne peux donc pas payer le chauffeur. Je me retrouve au poste et identifié par les flics comme un délinquant parce qu’une vieille dame a porté plainte contre un type qui possède le même chien que moi et qui vient de lui piquer son sac à main. Une nuit d’enchaînements horribles à la After hours.
Le plus trash la nuit ?
Des palpitations nocturnes lorsque je répétais Comme son nom l’indique, mon premier spectacle. J’avais beaucoup bossé, j’étais au bord du burn-out à ce moment-là. Ce côté crise d’angoisse irrationnelle a pu me saisir par le passé.
Que préférez-vous la nuit ?
Pouvoir circuler facilement dans Paris. La nuit, on est plus disponible à la surprise, à l’inconnu, ça crée des situations un peu plus sexy. Le silence, la solitude, la douceur. La concentration.
Les mots de la nuit ?
Deux mots. Désinhibition. Illusion. La nuit, on baisse un peu les armes mais c’est illusoire, comme si quelque chose ne se confirmait pas lorsque le jour se lève. Comme s’il s’agissait juste d’une réalité parallèle.
Cet article a été initialement publié dans le n° 822 du magazine Marie Claire, daté de mars 2021.
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