Isabelle Adjani : “J'aurais dû être américaine, car là-bas on peut épouser un milliardaire”

Profonde et lucide, elle porte un regard plein de pertinence sur l’époque. Icône aux multiples facettes, elle vient de tourner avec François Ozon. De A comme actrice à S comme style, voici Isabelle Adjani en quelques vérités bien senties.

L’âme en joie, l’âme en peine, mélancolique, rieuse, révoltée, drôle – d’une fantaisie prodigieuse -, vive et si vivante. C’est Isabelle Adjani, rêveuse très éveillée, l’intelligence faite femme et la délicatesse la plus extrême en toutes circonstances. À force de claironner son retour, on réalise qu’elle ne nous a jamais vraiment quittés, et ses absences répétées – elle est pourtant une excellente élève – ne font qu’exacerber le désir d’Adjani.

On l’attend dans Sœurs, de Yamina Benguigui (qui finira par sortir quand les salles rouvriront), et François Ozon vient de la diriger dans une adaptation libre des Larmes amères de Petra von Kant, de Fassbinder, rebaptisé Peter von Kant, face à Denis Ménochet. Au début de l’été, ce sera Mascarade, de Nicolas Bedos, puis Diane de Poitiers, minisérie historique réalisée par Josée Dayan pour France 2.

Actrice

«Une actrice en 2021 ? C’est être la femme de Barbe Bleue et demander à sa sœur Anne si elle ne voit rien venir d’autre que le soleil qui poudroie et l’herbe qui verdoie… C’est vivre dans un conte où les fées se font attendre…»

Argent

«Diamonds are a girl’s best friend ! J’aurais dû être américaine, car là-bas on peut épouser un milliardaire, il n’y a pas de mal à ça. L’argent, c’est le piège absolu. On veut se sentir libre par rapport à lui, ne pas en dépendre, mais c’est de lui dont dépend notre liberté dans un monde où tout a un prix, où votre pouvoir d’achat et votre valeur marchande sont devenus les marqueurs de votre place dans la société. Je viens d’acheter L’Argent au féminin, chez Ellipses, un ouvrage pour jouer à la fourmi, moi qui ai été très cigale… Une fourmi qui aura des souvenirs de cigale… mais pas de mygale au moins…»

Césars

«Il ne s’agit pas de condamner les revendications de reconnaissance et de respect légitimes de certaines communautés ou de certaines identités, pas plus que de dire que le cinéma, l’art et la culture en général sont des espaces où ces questions n’ont pas leur place. Simplement, je suis déçue quand je vois chacun “revendiquer” sa grande cause perso sur scène, alors que notre priorité, c’est d’y prendre la défense de la liberté de notre créativité, pas celle d’augmenter son nombre de followers. En étant grave, en étant drôle, mais si possible pas ricanant ni graveleux…»

En vidéo, Roselyne Bachelot déplore le « côté meeting politique » des Césars

Cinéma

«De quoi parlons-nous ? De qui nous soucions-nous ? De l’industrie ? Du 7e art ? Du public ? Des salles ? L’avenir du cinéma, c’est avant tout l’avenir des salles du cinéma, parce que c’est seulement sur les écrans, projeté devant un public, qu’un film commence à exister en tant qu’œuvre d’art, comme source d’émotions multiples partagées dans un espace consacré à cette expérience esthétique, ludique, distrayante, captivante, unique. Mais c’est aussi parce que ce sont les salles de cinéma qui font remonter l’argent dans les caisses des distributeurs, des producteurs, du CNC… Même si on peut imaginer que les plateformes pourront ou peuvent déjà assurer le financement et la rentabilité des films, jamais elles ne sauront leur conférer le statut d’œuvres cinématographiques qu’ils acquièrent dans les salles.»

Confiance

«L’humeur est baudelairienne, entre spleen et idéal, entre infusions de fleurs du mal et bulles de champagne… Des bulles de paradis artificiels, bien sûr, parce que pour le moment, c’est l’enfer pour tous, entre confinements, couvre-feux et certitude que le monde d’après ne sera pas meilleur que le monde d’avant. J’ai beaucoup de chance, je peux me déplacer du Portugal, où j’habite au bord de la mer, pour partir travailler, mais malgré ça, rien n’empêche le ciel bas et lourd de cette épidémie de peser comme un couvercle au-dessus de nos têtes…»

Confinement

«Je n’ai pas fait grand-chose pendant le confinement. J’ai lu et j’ai regardé la télé, sans désir, sans conviction, The Voice et Silence, ça pousse ! dont je suis fan, des séries, les géniales comme les nulles… Le confinement, pour moi, ce n’est pas du temps libre, c’est du temps mort. J’envie celles et ceux qui y ont trouvé assez d’énergie et d’inspiration pour le transformer en un temps de découvertes et de créations, et je plains les gens qui se sont retrouvés en souffrance réelle, en solitude extrême. Je n’ai pas voix au chapitre. Ça peut me faire honte, mais je n’ai rien tiré de concret ou de poétique de ce non-temps, de cette non-existence, de ces semaines où le jeudi ressemblait à un dimanche et le samedi à un lundi.»

Cuisine

«Je n’ai jamais cherché à passer pour un chef auprès de mes amis, même si je réussis la cuisson des pâtes al dente à la perfection, allez savoir pourquoi. Récemment, j’ai découvert la biomicronutrition grâce à Marion Kaplan, qui m’a appris à faire mon pain sans gluten avec son Vitaliseur. Ses recettes powerbiotiques m’ont transformée en powerwoman, et je suis devenue toquée de crème Kaco, un de mes entremets préférés pour le petit-déjeuner.»

Humour

«En ce moment, j’ai besoin de regarder des documentaires sur les animaux sauvages ou adoptés, c’est selon, ou des émissions avec l’accent québécois. Je vous jure que cela me fait un bien fou. Ce qui me fait rire ? Ça dépend vraiment du contexte, car j’ai parfois l’humour à contretemps ou à contresens, ce qui est compliqué car l’humour doit avoir un effet quasi immédiat. Je suis adepte et pratiquante d’un humour cinglant à la française mâtiné à la sauce anglaise, plus subtile, plus décalée… et j’en renverse un peu sur moi, sans insister, n’est-ce pas, ce qui est la forme d’autodérision la plus sincère et la plus efficace…»

Ozon

«C’est une chambre obscure où tout se joue moderato cantabile sans que l’on sache vraiment ce qu’il pense à chaque prise. Ce qui est certain, c’est que François Ozon est un immense cinéaste, qui sait exactement ce qu’il fait et où il veut aller.»

Blouson, débardeur et pantalon, l’ensemble Louis Vuitton.


Chemise en popeline et jean, Dior. Lunettes Nathalie Blanc.

Sweater Uniqlo + J. Bagues LV Volt, Louis Vuitton.

Résistance

«Je ne suis une résistante qu’à mes heures de courage. Idem pour le principe de résilience, dont je me méfie parfois, même si j’admire Boris Cyrulnik, notre millepertuis concentré national ! L’écrivain Olivier Steiner a écrit quelque chose de très lucide sur le mirage de la résilience, un ouvrage que je relis régulièrement… Pour ce qui est de Résister avec un grand R, c’est peut-être rester lucide jusqu’à la limite de cette brûlure qu’évoque René Char : il faut savoir garder ses distances par rapport à ce qui est juste, par rapport à ce qui est vrai, parce que ce sont justement deux idées que l’on peut tordre et dévier comme le font les sectatrices et les sectateurs de tout poil, qui vouent aux gémonies ceux qui refusent de se plier à leur dogme.»

Star-système

«Le processus de fabrication des stars a radicalement changé avec l’arrivée des réseaux sociaux : ce n’est plus l’excellence et le talent qui sont mis en lumière et se mettent à briller, mais c’est la quantité de lumière et de followers qui définit ce qui a de la valeur, ce qui doit susciter de l’intérêt, de l’engouement, de l’admiration… Et pourquoi pas ? Finalement, il faut être malin pour capter cette lumière et pour l’amplifier, ça demande un certain talent, et les réseaux sociaux permettent aussi à de jeunes talents de se faire reconnaître à leur juste valeur. Et puis, je ne vais pas être hypocrite, ça fait partie de notre vie de mannequins dans la vitrine…»

Style

«Bohème chic des Highlands écossais, suivant l’humeur. L’élégance, c’est un mouvement, une attitude furtive, un geste évanescent. J’adore la mode japonaise, que je mixe avec des touches britanniques.»

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