INTERVIEW Najoua Belyzel : les sévices sexuels dont elle a été victime, sa longue absence, son retour… Elle se confie

Dix ans séparent les deux derniers albums de Najoua Belyzel. Après une longue absence, l’interprète de Gabriel libère la parole et se confie sur une mauvaise rencontre qui a brisé son adolescence. Déjà en 2005, elle dénonçait en chanson ce médecin qui lui avait fait subir des attouchements.

Najoua Belyzel

Voici.fr : On va commencer par vos débuts. Peu de gens le savent, mais vous avez démarré votre carrière avec le tube Benoît, tourne-toi. Que vous a apporté cette expérience de groupe ?

Najoua Belyzel : Je faisais des études de droit et j’ai répondu à une annonce de casting. Deux producteurs recherchaient des choristes et danseuses. J’ai été prise alors que j’avais un niveau plutôt médiocre. Le jour du casting, je suis venue avec mes textes sous le bras, j’écrivais des chansons, des poèmes… Il y avait Christophe Casanave – avec qui je travaille depuis mes débuts et qui est devenu mon mari et le père de mes enfants. Il a lu mes textes, je pense qu’il a été touché et c’est pour ça qu’il m’a donné ma chance. Le groupe s’est formé en 2001, succès en 2002, on fait la tournée des clubs. Quand tu as 19 ans, c’est vraiment une chouette expérience. Mais je savais au fond de moi que ce serait court. Je l’avais pris comme un voyage. Quand j’ai annoncé aux autres membres du groupe que je m’arrêtais, Christophe m’a retenue en me proposant un projet personnel.

En 2006, autre carton donc cette fois-ci en solo sous votre nom d’artiste, Najoua Belyzel, avec Gabriel.

La naissance de Najoua Belyzel s’est faite dans un café parisien. J’ai changé de nom pour séparer ma vie privée et ma vie professionnelle. Je ne voulais pas chanter, et c’est Christophe (Casanave, ndlr) qui m’a aidée à formuler tous les messages que je voulais faire passer. J’ai enregistré des maquettes, des chansons. Le projet devait être porté par une autre chanteuse, mais un jour elle n’est pas venue au studio d’enregistrement. C’est donc moi qui suis passée derrière le micro… et je pleurais. C’est là que ma voix s’est créée dans l’émotion. Par la suite, j’ai signé dans mon premier label et arrive le succès de Gabriel qui déferle sur plusieurs pays. C’était incroyable ! J’ai pu par la suite écrire d’autres titres avec des paroles fortes.

Dès le début, vous avez souhaité utiliser votre art pour faire passer des messages forts. Pourquoi était-ce aussi important ?

J’ai utilisé mes maux et mes mots pour faire des chansons. Le fait d’être allée au fond des choses, d’écrire des choses très complexes… ça m’a donné une certaine légitimité. Car à l’époque, beaucoup de journalistes me demandaient de quelle émission je sortais… Donc cette légitimité je l’ai trouvée dans ces textes et thèmes que j’avais envie de défendre.

Avez-vous souffert des nombreuses comparaisons avec Mylène Farmer au début de votre carrière ?

Je ne l’ai jamais mal pris. C’est une icône. Plus on m’en parlait, plus j’espérais avoir la même carrière (rires). Mais quand on me disait que j’avais copié, que j’étais influencée, là ça me dérangeait. J’ai essayé de faire mes preuves avec mes chansons et les gens ont compris que oui ça pouvait se ressembler mais que ce n’était pas pareil. On partage peut-être un public, mais on n’a pas la même voix.

En 2005, vous avez enregistré Docteur Gel, une chanson dans laquelle vous dénoncez votre bourreau – un médecin traitant qui vous avez fait subir des attouchements durant votre adolescence. Comment avez-vous réussi à aborder ce thème aussi personnel que douloureux ?

Christophe (Casanave, ndlr) m’a poussée à écrire cette chanson, ça a été un exutoire pour moi. L’enregistrement a pris trois jours, alors qu’il faut généralement quelques heures. Moi je pleurais tellement qu’il a fallu plusieurs jours. Une fois que cette chanson ne m’appartenait plus, je me suis rendue compte de l’impact qu’elle allait avoir tant au niveau musical qu’au niveau privé, avec ma famille, les alentours de Nancy… Mais je n’avais pas réalisé qu’un jour j’allais recevoir des courriers, des témoignages de jeunes filles et garçons. Et que mon titre allait leur permettre de dénoncer à leur tour leur bourreau. Ça a été une fierté pour moi.

« C’est mon devoir en tant que maman de parler »

Quinze ans plus tard, vous parlez enfin de cette histoire un peu plus librement. Pourquoi ?

Le déclic dernièrement, ça a été la loi sur le consentement avec le seuil d’âge entre 13 et 15 ans. Ça m’a choquée. J’ai partagé une photo de moi dans l’année de mes 13 ans avec un nounours… Ça m’a fait un choc. Je me revois dans le cabinet de mon médecin traitant, le docteur Gel, qui me faisait subir des actes gynécologiques. Il touchait ma poitrine, mes cheveux, mes mains… Je me retrouvais dans son cabinet sans mes parents, car il avait aussi de l’emprise sur eux, sur toute ma famille. Donc mes parents lui faisaient confiance. Quand je faisais pipi au lit et que le problème se trouvait au niveau de la “mécanique” du sexe, il me faisait travailler mon sphincter et il commençait à me toucher dans ces zones-là. Ça a duré de mes 10 à 13 ans. Un jour, j’étais venue avec ma mère. Il m’avait donné un calendrier et il m’avait demandé de mettre un soleil quand mon lit était sec et des nuages quand il était mouillé. Et j’ai fini par comprendre que si je mettais des nuages, j’allais me retrouver avec sa main dans ma culotte. Donc, je trichais et je ne mettais que des soleils. Je cachais mes draps… et ça a marché pendant très longtemps, je ne le voyais plus.

Jusqu’au jour où d’autres problèmes vous amènent à nouveau dans son cabinet…

J’ai eu des douleurs dans le dos. J’ai dû y retourner avec ma mère et je me suis retrouvée avec une scoliose et un travail de musculature dorsale. Il m’a donné plusieurs rendez-vous en fin de journée et il m’emmenait dans son sous-sol où il y avait son matériel d’électrodes. Je me retrouvais sur une table, allongée, il plaçait des électrodes au niveau du dos. Je regardais la télé, mangeais des bonbons. Une fois, ça se passait bien, et la seconde fois il m’a montré des photos pédopornographiques pour m’expliquer ce qu’étaient les érections. Je me suis rendue compte que quelque chose allait se passer. J’ai pris mes chaussures et je me suis enfuie. Au fond de moi, j’ai juré qu’il ne me reverrait plus jamais. En rentrant, je me suis fait engueuler car il avait appelé en disant que je n’étais pas normale. Mais moi, je n’arrivais pas à leur dire. Je leur disais que je ne l’aimais pas, que c’était un pervers. Je m’en veux mais j’en veux aussi à mon entourage de ne pas avoir su décoder mon langage. Aujourd’hui, c’est mon devoir en tant que maman de parler, de dire à mes filles que leur corps leur appartient et que personne ne doit le toucher. Moi, on m’a appris la pudeur et on en a fait un voile sur tout.

À l’époque de la sortie de Docteur Gel, on ne vous a pas laissé raconter votre histoire. Comment l’avez-vous vécu ?

J’étais triste et j’avais peur à la fois. Je me suis demandée ce que ça allait faire quand Docteur Gel passerait en radio. Mais je me suis rendue compte que ce n’était pas un hit, que c’était une chanson d’album donc on ne l’entendrait pas à la radio. En interview, il m’est quand même arrivée de m’étendre sur le sujet, mais on me demandait de parler davantage de Gabriel, de la promotion d’un deuxième album… On m’aiguillait. Alors je disais simplement que c’était autobiographique et c’était à la personne en face de moi de développer ou pas. À l’époque, j’étais entourée d’hommes. Je n’ai pas eu de rencontre féminine et j’ai manqué de ça, au final. Je pense que ça m’aurait aidée à en parler davantage. Je voulais juste qu’on m’encourage.

Vous avez mis dix ans à sortir un troisième album. Pourquoi cette longue absence ?

J’ai mis fin à mon contrat avec mon label, car on ne s’entendait plus. Puis, je me suis mariée donc j’ai eu envie de profiter de ma vie de femme. J’avais vraiment besoin de temps pour moi. Après le succès de Gabriel, j’ai eu un moment assez violent. J’en ai peu parlé. J’ai eu peur des gens, de ceux qui me suivaient. On me poursuivait, m’attendait en bas de chez moi, voulait me ressembler… Dans les magasins, les gens se mettaient à hurler, à me courir après. J’ai commencé à beaucoup maigrir, à me sentir mal dans ma peau. Je n’avais personne à qui parler, ma mère était loin de moi. Je me suis retrouvée deux jours à la clinique La Villa des Pages parce que je n’allais pas bien. J’ai fait de l’anorexie, des dépressions, j’avais peur de sortir. Il y avait des barreaux aux fenêtres, j’ai demandé à partir. Je suis sortie contre avis médical, je suis allée à la gare, j’ai pris un billet et je suis rentrée chez ma mère. C’est elle qui m’a réparée. J’ai eu tout un cheminement où j’ai eu besoin de me connaître. Puis, je suis devenue maman.

Vous revenez avec Le con qui s’adore, en featuring avec Bel-Mondo. Racontez-nous l’histoire de ce titre.

Au départ, je la chantais seule. C’est l’un de mes titres préférés de l’album Rendez-vous… De la lune au soleil. Elle est très importante à mes yeux de par son message et son histoire. Elle a été inspirée par le récit d’une Canadienne qui avait accusé des policiers français de l’avoir violée. Elle s’était retrouvée face à des hommes qui faisaient bloc, à des syndicats. L’histoire était même devenue politique. Elle disait bien qu’elle n’était pas consentante et elle a dû se battre seule. Deux policiers ont été mis en examen, deux en mandat de dépôt. Il y en a un qui est sorti assez rapidement. Cette histoire m’a marquée, et m’a fait réfléchir au consentement. Je ne voulais pas mettre tout le monde dans le même panier, donc j’ai partagé ce titre avec un homme qui est Bel-Mondo, un artiste très sensible à la cause féminine. Il a fait un couplet et on a enregistré la chanson ensemble.

Deux ans après Rendez-vous… De la lune au soleil, Najoua Belyzel prépare un quatrième album. L’artiste est aussi en pleine écriture d’un roman.

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