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INTERVIEW – Jean-Pierre Raffarin : « Mon épouse m’aide à mettre de la distance »
L’ancien Premier ministre, qui vient d’être décoré de la grand-croix de la Légion d’honneur, évoque son rapport au pouvoir et la manière dont son épouse l’a préservé de toute dérive égotique. Rencontre à domicile.
Curieux de tout. Assis à son bureau, Jean-Pierre Raffarin interpelle d’emblée Simon, le stagiaire de 3e qui nous accompagne. « Pourquoi, vous les jeunes, comme mon petit-fils, vous portez vos chaussures sans faire les nœuds des lacets ? » Jean-Pierre Raffarin aime humer l’air du temps. Par le passé, il avait emprunté à la chanteuse Lorie sa « positive attitude« . Aujourd’hui, il dit apprécier Florence Foresti qu’il trouve très juste. « Je me reconnais dans ce qu’elle raconte, glisse-t-il, citant son sketch sur les garçons qui aiment la viande. » Il a aussi apprécié, il y a quelques années, la performance scénique de la chanteuse Jenifer. « Vous avez le sentiment que vous existez et qu’elle est connectée. Vous savez, insiste-t-il, le grand bonheur de la politique, ce n’est pas d’avoir le meilleur raisonnement, ou d’avoir lu les plus grands auteurs. C’est d’avoir le contact avec le peuple. »
A 74 ans, l’ancien Premier ministre de Jacques Chirac a néanmoins quelques certitudes : « Les problèmes à régler sont de plus en plus complexes et l’opinion demande des choses simples. Il faut travailler l’incarnation. » Il reconnaît que les temps ont changé depuis qu’il a occupé les plus hautes sphères du pouvoir entre 2002 et 2005. « On vivait dans une société de consommation, nous sommes désormais dans une société de polémiques, assure-t-il. La politique est devenue plus dure, avec les réseaux sociaux, les dérives verbales. Mais la violence avance quand la politique recule. Nous avons notre part de responsabilité. » L’homme reste une exception dans le cercle fermé des anciens locataires de Matignon. Il a fait mentir Georges Pompidou qui affirmait qu’à l’instant où l’on entre dans cette maison, on pense à l’Elysée. « J’ai observé plusieurs présidents de près, glisse-t-il. Et j’ai toujours vu que la fonction présidentielle était très difficile, car on détruit une part de soi-même pour créer une personne qui vous ressemble, que vous et les médias contribuez à créer. Un avatar, une caricature, derrière laquelle vous marchez, dit-il. J’aime la vie, je veux me piloter. J’accepte d’être une marionnette, mais je veux tirer les ficelles moi-même. »
« Nous nous étions fait le serment que je quitterais mon mandat de sénateur avant 70 ans. Et je m’y suis tenu. »
Son épouse, Anne-Marie, à ses côtés depuis toujours, l’a aidé à garder les pieds sur terre. « Elle n’a pas d’appétence pour la politique, est moins optimiste que moi sur certaines évolutions. Elle m’aide à mettre de la distance. Je ne suis pas un héros lorsque je passe le seuil de notre porte. Nous nous étions d’ailleurs fait le serment que je quitterai mon mandat de sénateur avant 70 ans. Et je m’y suis tenu ». Ensemble, ils aiment faire de longues balades sur la plage non loin de La Rochelle, où ils ont investi la maison dans laquelle vivaient ses parents depuis 1954. Ils vont également à la montagne, à Combloux. « J’ai découvert le concept de week-end à 69 ans. C’est pas mal en fait ! », plaisante-t-il. Jean-Pierre Raffarin ne manque pas d’activités. Il est toujours à la tête de la Fondation Prospective et Innovation et a beaucoup voyagé dans le monde, en Chine notamment. Dans son dernier livre Ne sortons pas de l’histoire (Michel Lafon), il avance des pistes afin que la France et l’Europe ne soient pas prises en tenaille entre la Chine et les Etats-Unis. Il préconise de défendre la planète en devenant les champions des accords de Paris sur le climat, et plaide pour le nucléaire et le ferroviaire.
Jean-Pierre Raffarin préside aussi l’ONG Leaders pour la paix, qui réunit notamment 10 anciens premiers ministres du monde entier, 10 anciens ministres des affaires étrangères et 10 chefs de grandes entreprises. Autant de personnalités qu’il a pu mettre en contact avec Emmanuel Macron. « Le Président sait écouter », affirme-t-il. Le 22 février, ce dernier l’a fait grand-croix de la légion d’honneur. La plus haute des distinctions. Très touché, Jean-Pierre Raffarin affirme néanmoins « mesurer le gap » qu’il y a entre lui-même, « et certains héros de la France« . Ce jour-là, en présence de son « frère en politique« , Dominique Bussereau, d’Eric Woerth ou d’Edouard Philippe, il eut bien sûr une pensée pour ses parents, disparus aujourd’hui, qui lui ont transmis le virus de l’engagement public. Son père, dirigeant agricole, et sa mère « qui était en fait la plus politique de la famille », s’amuse-t-il. Elle lui téléphonait après chacune de ses prestations télévisées ou radio. Cela lui manque. « Elle me donnait une note sur 20. Mais ne me mettait jamais moins de 15″, sourit-il. Il n’a pas réussi cependant à faire partager sa passion à sa fille unique, Fleur, DRH dans l’univers de la mode. Lui en veut-elle de lui avoir fait subir les contraintes de la vie publique ? « On s’aime trop pour cela, avoue-t-il. Elle avait deviné avant moi que j’allais être nommé Premier ministre. Elle est partie à Londres à cette époque. Aujourd’hui, elle ne souhaite pas que je transmette le virus à ses deux enfants. Lorsque je les emmène faire le marché, pas question que je leur apprenne à serrer des mains. Mais il m’arrive que ça m’échappe », concède-t-il. Curieux de tout… Et facétieux.
Cet article est à retrouver dans Gala N°1551, disponible dans les kiosques depuis ce jeudi 2 mars 2023.
Crédits photos : Marie Monteiro
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