INTERVIEW – Gilbert Montagné : « Ma femme m’a envoyé de très belles lettres en braille »

GALA S’ENGAGE – Des personnalités connues se confient auprès de Gala.fr, sur leur engagement, mobilisation ou simplement sur une cause qui leur tient à cœur. À l’occasion de la journée mondiale du braille, célébrée ce mercredi 4 janvier, Gilbert Montagné a accepté de s’exprimer sur ce sujet à propos duquel il demeure très investi.

C’est un sujet sur lequel il a beaucoup à dire. Devenu aveugle suite à une erreur médicale, survenue seulement quelques mois après sa naissance, Gilbert Montagné est depuis longtemps un homme engagé. S’il s’est un temps essayé à la politique, au poste de secrétaire national chargé des handicaps au sein de l’UMP (devenu Les Républicains, ndlr), il en est finalement revenu, réalisant qu’il n’avait pas « pas besoin de titre pour faire avancer les choses« , comme il l’avait confié, à l’époque, sur les ondes de la radio MFM. Désormais loin des arcanes du pouvoir, le célèbre chanteur n’a pour autant pas oublié le combat des non-voyants. À 70 ans passés, l’homme aux lunettes noires a récemment écrit un livre pour enfants, Lounaciel, paru aux éditions Signe en octobre dernier. L’objectif de cet ouvrage ? Sensibiliser les plus jeunes à la cécité. À l’occasion de la journée mondiale du braille, célébrée ce mercredi 4 janvier, le mari de Nikole a accepté de se confier à Gala.fr.

Gala.fr : Tout d’abord, pouvez-nous expliquer en quelques mots ce qu’est le braille ?
Gilbert Montagné
: Pour moi, le braille est une écriture très importante car c’est la seule écriture sensuelle au monde, parce que c’est la seule qu’on touche. Et puis, c’est l’écriture de mon enfance. C’est comme pour vous, lorsque vous avez appris à écrire. Je me souviens de ma première leçon, on nous faisait écrire une première ligne de « A », puis le « B », et ainsi de suite… Le braille s’écrit en six points et tout dépend de la disposition d’un point par rapport à un autre. Les gens pensent à tort que ce sont des points qui ont la même forme que vos lettres, mais pas du tout, ça n’a rien à voir ! En revanche, c’est le même code. D’autre part, il y a deux formes d’écriture, en braille : il y a l’écriture intégrale, lettres par lettres, et puis l’écriture abrégée, c’est un peu comme la sténographie. Il faut savoir que le braille prend beaucoup plus de place que votre écriture. C’est pour cette raison que l’on a créé l’écriture abrégée.

Gala.fr : Est-ce que tous les non-voyants ont recours au braille ?
Gilbert Montagné
: Il n’y a que 15 à 20 % des non-voyants qui utilisent le braille. Des non-voyants de naissance, comme moi, il n’y en a presque plus. Ce sont souvent des gens qui ont des problèmes de pertes de vue au cours de leur vie et ils n’ont pas voulu apprendre, soit par non acceptation de cette nouvelle vie, soit parce qu’ils ont eu du diabète et que leurs doigts ne sont plus sensibles. Pour autant, le braille est pour moi un patrimoine national, parce que Louis Braille était français, et c’est aussi une écriture internationale.

Gala.fr : Est-ce qu’il vous arrive d’imaginer à quoi ressemble notre écriture ?
Gilbert Montagné
: Je suis sûr que c’est très bien les courbes et le reste, mais moi, je ne connais pas.

Gala.fr : Il paraît que votre père a appris le braille tout seul pour communiquer avec vous…
Gilbert Montagné
: Effectivement, mon père m’a fait une surprise. Je n’imaginais vraiment pas que ça arriverait un jour, même s’il était capable de beaucoup de choses. Il était en déplacement vers Marseille et puis un jour, je devais avoir huit ans, j’ai reçu une lettre en braille. Je l’ai ouverte, j’ai été très surpris et très touché.

Gala.fr : Au quotidien, comment parvenez-vous à vous informer, notamment sur Internet ?
Gilbert Montagné
: On a compris que l’information s’enregistre beaucoup mieux en vocalisation, pour vous, les voyants. C’est bien, parce que ça nous a ouvert une porte. En informatique, on navigue beaucoup à l’aide du vocal. On peut toujours naviguer à l’aide du braille, soit grâce à une plage tactile qui se branche, ou en Bluetooth sur l’ordinateur. Vous avez des petits points qui apparaissent comme par magie, c’est merveilleux !

Gala.fr : Avez-vous accès à l’information au même titre que les voyants ?
Gilbert Montagné
: La question, c’est est-ce que tous les sites Internet sont accessibles ? S’ils ne le sont pas, c’est problématique. Moi j’adore les nouvelles technologies, je suis un passionné, mais c’est vrai qu’il y a encore bien des sites qui ne sont pas assez accessibles. Un exemple : vous êtes sur un site, tout d’un coup, on vous dit ‘pour vous identifier, veuillez appuyer sur l’image où il y a des camions par exemple’. À partir de ce moment-là, on ne peut pas aller plus loin. Heureusement, il y a d’autres sites où on peut entendre en audio. Je pense qu’il faudrait un portail de surveillance sérieux, avec des gens qualifiés. Pour moi, un site Internet ne devrait pas pouvoir être s’il n’est pas accessible. On ne veut pas plus que ce que vous avez, mais on ne veut pas moins non plus. On veut être pris en compte.

Gala.fr : En France, les livres audio deviennent de plus en plus populaires auprès du public. Et vous, quelle place tient la lecture dans votre vie ?
Gilbert Montagné
: Que ce soit pour les livres audio ou en braille, il y a un large choix. Avec l’audio, nous avons les livres quelques semaines après leur parution. C’est très important. Avant, il fallait parfois attendre des années avant qu’un livre existe en braille. Ça passait devant des commissions, vous imaginez ? Des gens décidaient s’il fallait retranscrire tel ouvrage en braille ou pas. L’audio a permis de rassembler tout le monde. Ça nous a apporté énormément. Mais encore une fois, il ne faut pas opposer l’audio au braille. Chacun fait comme il le souhaite.

Gala.fr : Vous-même, vous avez récemment publié un livre pour enfants, Lounaciel (Éd. Signe), disponible en audio…
Gilbert Montagné
: C’est un livre pour enfants de 7 à 11 ans. Il raconte l’histoire d’une petite fille de 9 ans qui est fascinée par l’image, elle est très forte en classe, elle est la première en dessin. Et puis, elle va se rendre avec ses parents, en Finlande, dans le village du Père Noël. Malheureusement, la voiture dérape sur la glace, personne n’est blessé, mais la tête de Lounaciel heurte la paroi du véhicule. Elle est frappée par un traumatisme crânien qui engendre une cécité. Au début, ça a été un effort d’imaginer cette héroïne parce que je suis mal-voyant de naissance, je n’ai pas eu à m’adapter, ça a été naturel pour moi. J’ai aussi enregistré ce livre en audio, avec ma voix, pour que les gens qui ne peuvent pas lire aient le choix. Ce livre est le premier d’une série – je suis en train de commencer le deuxième – parce que Lounaciel va aller dans le monde régler les problèmes des autres et les aider.

Gala.fr : Vous le dites, vous n’avez pas eu à vous adapter, puisque vous êtes devenu aveugle peu de temps après votre naissance… Comment êtes-vous parvenu à vous mettre dans la peau de ce personnage ?
Gilbert Montagné
: C’était le plus difficile, mais j’ai puisé dans mon imagination. Je rencontre beaucoup de gens qui sont devenus mal-voyants au cours de leur vie. Je leur dis : ‘la personne que tu étais est toujours la même personne. Ce n’est pas parce que tu as un sens en moins que tu vas être une personne amoindrie. Il faut absolument croire en toi.’ C’est ce que j’ai fait dire à l’ophtalmo qui parle à Lounaciel : sois tu crois en toi et tu vas pousser les portes, soit tu ne vas pas y arriver. Dans la vie, on n’est pas que spectateur, il y a quand même une partie d’acteur.

Gala.fr : Vous êtes père de deux enfants. Ont-ils appris le braille ?
Gilbert Montagné
: Mes enfants ont appris des notions de braille.

Gala.fr : Comment faisiez-vous pour leur lire des histoires quand ils étaient petits ?
Gilbert Montagné
: Tous les soirs, quand j’étais là en tout cas parce que je bougeais beaucoup, j’inventais des histoires. Le petit problème, c’est que le lendemain, il faut se souvenir où on s’est arrêté parce qu’eux s’en souviennent. J’ai toujours aimé imaginer. Ce n’est pas parce qu’on ne voit pas une image avec les yeux qu’on ne peut pas s’en faire une.

Gala.fr : Est-ce qu’il vous arrive de recevoir des lettres en braille de la part de vos fans ?
Gilbert Montagné
: Avant les ordinateurs, les filles de mon public apprenaient le braille pour être sûres que ce qu’elles écrivaient, personne d’autre ne pouvait le lire. J’étais très touché. Je trouvais ça extraordinaire d’avoir la patience d’apprendre le braille. Parce qu’il y a une chose qu’il faut savoir : on écrit de droite à gauche et on tourne la feuille pour lire de gauche à droite. Donc on est ambidextres. C’est vraiment une très belle écriture. Moi j’invite tous les gens à prendre quelques minutes, fermer les yeux et toucher le braille.

Gala.fr : Avez-vous déjà écrit une lettre d’amour en braille ?
Gilbert Montagné
: Bien sûr ! J’en ai écrit il y a longtemps, quand je correspondais en braille avec une copine non-voyante.

Gala.fr : Est-ce que votre femme Nikole a elle aussi appris le braille ?
Gilbert Montagné
: Ma femme a appris le braille sans me le dire. Au début de notre relation, elle m’a envoyé de très belles lettres en braille. Je n’oublierai jamais ça.

Gala.fr : N’est-ce pas trop dur pour vous de ne pas la voir physiquement ? Même si le toucher est important et dit parfois beaucoup, est-ce que cela change quelque chose pour vous ?
Gilbert Montagné
: Je ne fonctionne pas du tout comme ça. Mon disque dur n’est pas programmé, d’une part pour les couleurs, je ne sais pas du tout ce que c’est, mais ça n’a jamais été un manque parce que je n’ai aucune idée de ce que c’est. Je vois à ma façon à moi et je prétends qu’elle est tout aussi légitime et intéressante que la vôtre. Pour autant, je ne sous-estime pas votre forme de vision de voir les objets, les formes de loin. C’est bien parce qu’on peut se préparer à ce qui va arriver. Moi j’ai la surprise du dernier moment. Je me revois enfant, dans mon appartement rue des Pyrénées. Pour Noël, il y avait des cadeaux, je m’approchais de la cheminée, je sentais déjà l’odeur des papiers d’emballage. et je me disais : ‘il doit y avoir quelque chose pour moi…’ Dès que je touchais, c’était merveilleux. On a vraiment la révélation du dernier moment.

Gala.fr : Parlons de vos engagements… Vous vous êtes battu pour l’audiodescription. Quelles améliorations avez-vous constatées à ce sujet ?
Gilbert Montagné
: Que ça existe ! (Rires) Pour ma part, je ne pensais pas en avoir besoin, car j’étais habitué à aller au cinéma depuis tout petit, ça se passait très bien. J’ai toujours anticipé ce qui allait se passer, j’avais l’habitude de fonctionner comme ça. Mais je ratais quand même des trucs. L’audiodescription n’était jamais énoncée, c’était comme s’il ne fallait pas parler. Alors que pour les déficients visuels, qui ont perdu la vue au cours de la vie, c’est absolument capital. Dès qu’ils rentrent chez eux, ils ne veulent pas aller au cinéma, parce qu’ils sont persuadés qu’ils ne pourront pas, ils préfèrent regarder la télévision. L’audiodescription a tout changé ! On vous remet un petit casque WiFi, et puis, sans déranger personne, vous suivez le film avec la piste audio. Avant, il n’y avait qu’une société en France qui en faisait, pour Arte, maintenant il y a des dizaines de compagnies en France qui font de l’audiodescription. J’aurais d’ailleurs dû en créer une ! (Rires)

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Gala.fr : En 2009, vous vous êtes engagé en politique en devenant secrétaire national chargé des handicaps au sein de l’UMP (devenu LR). La politique, c’est quelque chose qui vous intéresse toujours ?
Gilbert Montagné
: Faire partie d’un mouvement politique ne m’intéresse plus. Cependant, je n’ai aucun problème à jouer mon rôle pour que les choses bougent.

Gala.fr : Avez-vous gardé contact avec certaines personnalités politiques ? Si oui, lesquelles ?
Gilbert Montagné
: Quelques personnes du monde politique sont restées proches de moi et réciproquement. Plus principalement, Xavier Bertrand et Sophie Cluzel.

Gala.fr : Avez-vous déjà approché Emmanuel Macron à ce sujet, comme Stéphane Bern l’a fait pour le patrimoine par exemple ?
Gilbert Montagné
: Je n’en ai pas eu encore le temps, mais pourquoi pas ?

Gala.fr : Pourquoi n’avez-vous jamais pensé à avoir un chien guide pour vous accompagner ? Gilbert Montagné : J’ai toujours hésité à en avoir, en raison du fait de voyager beaucoup. J’ai pensé que cela pourrait les rendre malheureux.

Gala.fr : Quel message avez-vous envie de faire passer aujourd’hui ?
Gilbert Montagné
: Ce que je continue à vouloir, c’est qu’on comprenne que tout ce qu’il y a écrit pour vous peut également être écrit pour nous…

Crédits photos : COADIC GUIREC / BESTIMAGE

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