Interview de Lee Majors : “Je trouvais Steve Austin trop parfait !”

En 1975 apparaissait sur nos écrans l’inoubliable feuilleton de “L’homme qui valait trois milliards”. Presque cinquante ans après, l’acteur et producteur américain âgé de 84 ans nous ouvre sa boîte à souvenirs…

C’est un acteur qui aura marqué des générations de téléspectateurs. En 1975, il incarnait l’inoubliable colonel Steve Austin dans L’Homme qui valait trois milliards. Une série dans laquelle on suivait les aventures d’un ancien astronaute blessé lors d’un vol d’essai expérimental, devenu un surhomme capable de courir à plus de 120 km/h, de sauter des hauteurs incroyables, de voir très loin avec un œil plus performant qu’un télescope ou bien encore de soulever des charges colossales. En 1981, il devient L’Homme qui tombe à pic, alias Colt Seavers, un cascadeur de Hollywood qui travaillait au noir comme chasseur de primes. Entretien avec une légende.

France Dimanche : À l’instar de Steve Austin, vous aussi avez été un accidenté de la vie…

Oui, à l’issue de mon premier match de football américain, j’ai subi une grave blessure au dos me laissant paralysé pendant deux semaines. Je me suis tourné alors vers le théâtre. J’ai troqué mon nom, Harvey Lee Yeary, contre Lee Majors en hommage au héros de mon enfance Johnny Majors, joueur puis entraîneur [de football américain, ndlr] de l’université du Tennessee. J’ai commencé une carrière d’acteur dans Gunsmoke, avant de décrocher un rôle récurrent dans La Grande Vallée.

“Quand j’ai débuté dans ce métier, j’ai piqué quelques attitudes à Steve McQueen et Paul Newman !”

D’où vous vient cette assurance insolente ?

Mon père a été tué dans les aciéries du Michigan alors que ma mère était enceinte de huit mois ; puis ma mère est morte quand j’avais seize mois, renversée par un chauffard ivre alors qu’elle se rendait à son travail de femme de ménage dans un hôpital. J’ai été adopté par mon oncle et ma tante. Très jeune, j’ai donc compris qu’on pouvait perdre la vie n’importe où et n’importe quand et qu’il fallait profiter de chaque seconde. J’ai acquis en moi une persévérance et une résilience indestructibles.

Vos parents adoptifs ont mis du temps à vous raconter ce qui était arrivé à vos géniteurs ?

En fait, j’ai découvert la mort de mes parents naturels par moi-même. J’étais ado quand je suis tombé sur une pile de journaux dans le grenier. Il y avait des articles qui parlaient de la mort d’un homme et d’une femme dans des conditions dramatiques. J’ai réalisé qu’il s’agissait de mes parents !

Comment cela se passait sur le plateau de L’Homme qui valait trois milliards ?

©DC

Les prises de vue en extérieur nécessitaient un travail énorme. Souvent, nous tournions sur des lieux abandonnés dans la périphérie de Los Angeles. À la longue, cela devenait ennuyeux, sauf les rares fois où l’on tournait dans des forêts. Ce qui était terriblement répétitif, c’étaient les scènes de castagnes bioniques. Mais cette série m’a tellement apporté ! Quand je me promène dans la rue, je croise des gens qui me racontent qu’ils sont devenus électroniciens grâce à Steve Austin ! Sans compter ceux qui me confient s’être cassé la jambe en se prenant pour des superhéros bioniques ! Vous avez aussi des gamins qui ont intégré plus tard l’armée ou la Nasa, grâce à ce héros. C’est vrai que c’était avant-gardiste.

“Ma mère a été tuée, renversée par un chauffard ivre alors qu’elle se rendait à son travail de femme de ménage dans un hôpital.”

Comment ça ?

L’Homme qui valait trois milliards a ouvert les portes aux shows « technologiques ». J’ajoute que je suis très heureux lorsque je vois ces soldats estropiés, amputés, recouvrer une forme de dignité après qu’on leur a remplacé leurs membres par des prothèses hyperévoluées.

On raconte que vous n’étiez pas emballé quand vous avez reçu le premier script ?

Au début, j’étais vraiment hésitant. Dans le scénario que la production m’avait envoyé et qui s’appelait Cyborg – tiré d’un livre de Martin Caidin sorti en 1972 –, on décrivait un gars qui sautait d’un immeuble à l’autre avec une facilité déconcertante et qui courait plus vite qu’une voiture. Je trouvais ça amusant mais un peu faiblard…

Est-ce vous qui effectuiez toutes les cascades ?

À 80 %, oui. C’était beaucoup de boulot et beaucoup de risques. Nous ne disposions pas des mêmes contraintes et règles sécuritaires des séries actuelles. On se trouvait en haut d’un mur, on plaçait des trucs gonflables au-dessous et on sautait ! J’en paie aujourd’hui les conséquences car j’ai longtemps souffert au niveau des articulations d’un de mes genoux. Je vais peut-être le remplacer par une rotule… bionique !

Vous attendiez-vous à un tel impact ?

Pas vraiment ! Quand j’ai signé, je ne savais pas que nous avions un “hit” en puissance. Mais dès les premiers épisodes, nous avons compris que nos vies ne seraient plus comme avant. Nous étions conviés dans toutes les émissions, nous faisions la une des journaux, nous recevions des milliers de lettres par jour ! Cette série était une série familiale par excellence. Il n’y avait pas de sang ni de vulgarité dans les répliques.

Il parait qu’Arnold Schwarzenegger était un grand fan de Steve Austin ?

Vrai ! Un jour, je l’ai croisé ! Il m’a dit : « Le tout premier Terminator, c’est vous ! » J’étais flatté !

Vous avez déclaré un jour que L’Homme qui tombe à pic collait plus à votre personnalité !

©DC

Oui ! Je trouvais Steve Austin trop parfait ! Un bon soldat… finalement assez prévisible. D’un côté, il y avait le bien, de l’autre, le mal. C’était noir ou blanc. Jamais gris ! Combien de fois ai-je été voir les scénaristes d’Universal en leur demandant de changer ci ou ça ? Mais sans grand succès. J’étais sous contrat, et la seule chose que l’on exigeait de moi, c’était de maintenir la cadence de tournage. Avec L’Homme qui tombe à pic, c’était différent. J’étais plus libre. J’avais le droit de mettre mon grain de sel et je ne m’en suis pas privé ! J’aimais ce personnage car il galérait, commettait des gaffes et était doté d’un sacré sens de l’humour.

“Je plains les couples célèbres d’aujourd’hui, comme moi et Farrah Fawcett à l’époque.”

Vous avez été marié à Farrah Fawcett. Comment se passait le quotidien pour ces deux stars ?

©HA Collection / VISUAL Press Agency

Farrah et moi étions sollicités en permanence, sans aucun répit. Dès que nous sortions quelque part, les caméras ou les photographes nous emboîtaient le pas. C’était une époque folle. Je plains les couples célèbres d’aujourd’hui car je sais à quel point l’hypermédiatisation peut tuer une histoire d’amour.

Cette surexposition a-t-elle eu raison de votre mariage ?

Non ! C’est le travail. On se voyait toutes les deux semaines. Nous étions toujours aux quatre coins du monde. Parfois, on se retrouvait entre deux vols. Ce n’était pas une vie. Après notre divorce, nous sommes restés amis. Avant que Farrah nous quitte, je me revois lui parler souvent. Nous avions même évoqué de tourner dans un projet commun. Malheureusement, la maladie l’a emportée !

Quel souvenir gardez-vous d’elle ?

C’était une fille fantastique ! Elle est devenue une icône de la pop culture, et pas seulement grâce à ce fameux poster mondialement connu où on la voyait porter un maillot de bain rouge ! Quand j’ai rencontré Farrah, elle n’avait jamais joué. Comme je sentais qu’elle avait du potentiel, j’ai suggéré à des amis producteurs de la faire tourner. Ce qu’elle a fait dans trois ou quatre épisodes de L’Homme qui valait trois milliards. Et comme je connaissais bien Aaron Spelling, il l’a embauchée dans Drôles de dames. Son talent et sa belle énergie ont fait le reste ! Aujourd’hui, je suis marié depuis vingt ans à une belle fille nommée Faith. Elle aurait pu être actrice, mais elle ne le voulait pas. Elle est avec moi 24 heures sur 24, 7 jours sur 7 depuis vingt ans, et elle est tout simplement fantastique.

©Chris DELMAS / VISUAL Press Agency

Vivez-vous toujours à Los Angeles ?

Non, dans un lieu plus central et plus peinard : le Texas. Les gens sont cool. Le seul souci, c’est la chaleur. Il peut faire plus de 40 °C l’été et le taux d’humidité dans l’air atteint parfois 100 % !

Vous vivez dans un ranch, comme dans La Grande Vallée, avec des chevaux ?

Non ! Ce n’est pas un ranch mais une maison très confortable à quelques encablures de Houston. On y trouve des cinémas avec autant de places que ceux de New York. Idem pour les restaurants !

Vous n’avez jamais ressenti le besoin de prendre une retraite bien méritée ?

Jamais ! L’inactivité, ce n’est pas pour moi. Vous savez, la plupart des acteurs ne prennent pas leur retraite. Vous avez parfois tellement galéré pour connaître le succès que forcément, vous vous accrochez pour que ça dure. J’ai beaucoup joué au golf et taquiné les truites dans ma vie, mais c’était lassant à la longue. Aussi j’ai constaté que mon occupation préférée, c’était de bosser !

Que pensez-vous des réseaux sociaux comme outil de communication pour les acteurs et actrices ?

Si c’est ainsi qu’ils s’épanouissent, pourquoi pas. Pour ma part, c’est ma femme qui s’intéresse à ça. Moi, je ne suis pas une social person. J’ai toujours été quelqu’un de timide. Twitter, Instagram, Facebook, cela ne me parle pas. Et jusqu’à l’année dernière j’avais encore un téléphone à clapet.

À quel moment avez-vous compris que vous étiez une icône populaire ?

En voyageant, je voyais des gens venir vers moi. J’avais beau leur expliquer que je n’étais pas Steve Austin, vous en aviez toujours qui me demandaient de sauter d’un immeuble à un autre. Au départ, cela me faisait marrer, jusqu’à ce que je comprenne que pour ces gens issus de pays pauvres, j’incarnais l’Amérique dans toute sa puissance scientifique ! Pour eux, je n’étais pas un personnage de science-fiction !

Propos recueillis par Frank Rousseau, notre correspondant aux États-Unis

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