"Il y a eu tellement d'histoires et d'épreuves" : Jane Birkin se confie sur ses filles

Une femme libre et digne. Forte face aux épreuves de la vie qui ne l’ont pas épargnée. De retour sur la scène musicale avec un nouvel album et une Victoire d’honneur pour l’ensemble de sa carrière lors des Victoires de la musique, Jane Birkin reçoit pour Gala, notre reporter Nikos Aliagas. Sa famille, sa vie, ses joies et ses chagrins : elle dit tout.

En arrivant devant la porte d’entrée de l’appartement parisien de Jane Birkin, j’ai une musique de Gainsbourg qui s’invite tout d’un coup dans ma tête : Je suis venu te dire que je m’en vais. Je ne sais pas pourquoi, mais c’est plus fort que moi, j’entends la voix de Serge et les sanglots de Jane alors que je franchis le petit vestibule plein de livres et de photographies. Tu t’souviens des jours heureux et tu pleures, la chanson se perd dans les limbes de la bande son de mon monde intérieur lorsque Jane me sourit.

Elle est assise devant un ordinateur portable posé sur la grande table du living-room. Elle me propose un café et un petit gâteau de La Maison du Mochi.

Autour de nous, des portraits de ses filles, un bestiaire de petites sculptures et dessins presque sortis du roman de Lewis Carroll. Sa chienne Bella, 4 mois, s’invite et me lèche la main, un bulldog anglais drôle et attachant. « Je cherchais un bull terrier pour Charlotte », me dit-elle d’emblée, « mais je suis tombée sur Bella, ma chienne était décédée quelques semaines auparavant. Je la trouvais moins belle, moins gentille que Dolly. Et puis, je me suis trompée. C’est un vrai clown. Je me suis permise de la garder et de l’aimer. Elle est délicate. Elle a trouvé sa place pour se rendre indispensable. » Dans le monde de Jane, personne ne remplace personne. Tout est histoire d’équilibre, de justesse. Comme dans son dernier album signé Etienne Daho.

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NIKOS ALIAGAS : On est ici chez vous Jane, et on sent bien que chaque objet, chaque meuble est chargé d’histoire. Comme des petites boussoles. Vous m’avez d’ailleurs appris tout à l’heure que le tissu de vos murs est le même depuis toujours, dans tous les lieux que vous habitez. C’est votre protection ?

JANE BIRKIN : C’est comme ça que je me sens bien. A chaque fois que je déménage, je garde mes meubles, mes tissus et je reproduis mon intérieur à l’identique. Et à chaque fois, mes enfants me disent : « Oh non, pas encore ! » (Rires.)

N. A. : Ce nouvel album, Oh ! pardon tu dormais…, avec Etienne Daho, est-ce d’abord une rencontre amicale ?

J. B. : Oui, on se connaît depuis tant d’années. Je crois que c’était à l’occasion d’une émission avec les Carpentier. Il y avait Claude François, Françoise Hardy, Fanny Ardant, Raymond Devos et Etienne Daho. Cela l’avait amusé. Ensuite, il m’a écrit des chansons, puis à Charlotte et il a produit Lou. C’était un bijou. Et puis, malgré nos envies respectives, on n’a jamais pu se retrouver sur ce chemin artistique. Vingt-cinq ans après, on a fini par y arriver. Et j’en suis très heureuse. Avec Serge, on faisait un disque tous les deux ans, il pensait toujours me devoir des chansons. J’avais beau lui dire qu’il ne me devait rien, il le voulait. Après sa mort, je me suis demandée si je valais le coup sans lui. J’ai sorti 14 albums en tout, dont 9 composés par Serge. Avec Etienne, c’est mon deuxième album « perso ».

N. A. : Dans cet album, vous parlez d’amour, mais aussi de la dureté de la vie, de ceux qui sont présents mais aussi des absents. Comment avez-vous fait pour raconter la mort de votre fille, Kate, sans être submergée par la douleur ?

J. B. : Quand je suis allée voir Etienne, je n’avais pas parlé de ce drame pendant sept ans. Je me suis dit que je ne pouvais pas faire un disque personnel sans parler de ma fille. Sa mort a bouleversé ma vie, celle de ses deux sœurs et de son fils aussi. J’ai connu et je connais encore aujourd’hui des grands moments de chagrin, de peine. Parfois sur des petits détails.

Comme ce jour où je suis tombée sur une paire de ciseaux et un nécessaire de manucure exposés dans la vitrine d’une pharmacie à Lyon, qui m’a immédiatement fait penser à Kate, à ses pieds. Mais pour répondre à votre question Nikos, je suis partie de quelque chose d’intime, d’extrêmement douloureux et je l’ai transfiguré pour le donner aux autres. Cela ne change rien à ma peine. D’ailleurs, on n’a pas envie de guérir, on n’a pas envie de passer à autre chose. Il n’y a pas de date fixe pour la fin d’un deuil. On veut exprimer quelque chose de poétique. Serge l’avait fait pour Les dessous chics et Fuir le bonheur… Ce sont pourtant deux chansons sur la peine absolue que l’on ressent quand on a été quitté. Et il en a fait une beauté.

N. A. : Au moment où l’on se parle, les cloches et les sirènes retentissent comme tous les premiers mercredis du mois dans notre pays. Depuis quand vivez-vous en France Jane ?J. B. : Depuis 1968.

N. A. : Et ces cloches vous inspirent quelque chose ?

J. B. : A vrai dire, je n’ai jamais habité aussi près d’une église en France. Je suis comme suspendue au clocher ! (Rires.) En Angleterre, je vivais aussi en face d’une église catholique, à l’époque où je me suis séparée du père de Kate (en 1967 avec le compositeur John Barry, ndlr). On avait une toute petite maison, dans laquelle on fêtait Noël avec Serge et les enfants. D’ailleurs, un jour, au lendemain de Noël, un clochard a sonné à notre porte et nous l’avons accueilli toute une journée : Serge lui a servi du bon vin. En partant, il nous a lancé : « Maintenant, je crois au bon Dieu. » Et Serge m’a dit : « Il ne sait pas que je suis juif. » (Rires). Les cloches qui sonnent m’ont fait penser à cette anecdote. (Sourire.)

N. A. : Dans cet album, il y a Ghosts, un titre que vous chantez d’ailleurs en anglais et dans lequel vous parlez de votre famille disparue, de ces fantômes qui hantent vos nuits… J. B. : Vous savez, quand je m’endors, j’espère toujours rêver des personnes qui me manquent. Pour que je puisse les toucher à nouveau. Entendre leur voix. Pour moi, la représentation de ces fantômes s’assimile à des anges qui vous emmènent dans leurs paradis perdus.

N.  A. : Je regarde autour de moi et je vois des photos de vos enfants, de vos animaux, mais pas une photo de vous. Etonnant.

J. B. : Je trouverais impudique de mettre des photos de moi. C’est comme écouter ses propres disques. Moi, je ne les écoute jamais. Tout comme mes films, mes documentaires, je ne les regarde pas. Je ne suis pas dans la nostalgie et quand j’y suis obligée, je trouve toujours que ce n’est pas aussi bien je l’imaginais à l’époque où je le faisais !

N. A. : Vous n’avez jamais eu conscience d’être une icône ?

J. B. : Oh non ! J’ai cette chance d’être très ordinaire et de n’avoir jamais été préoccupée par mon image. Je sors Bella le matin, en pyjama et pantoufles sans aucun problème. Et avec les masques, c’est désormais impossible de me reconnaître. (Rires.) Et puis, les gens sont amicaux avec moi.

N. A. : Vous restez optimiste malgré cette pandémie ?

J. B. : Pendant le confinement, c’était une solitude tellement triste. Je sortais juste sur le balcon pour applaudir les infirmières comme tout le monde. Mais dans la journée, je ne faisais rien d’intéressant. J’avais parfois Charlotte qui m’appelait de New York et Lou bien sûr. Là, j’ai la chance de rencontrer du monde pour la promo. Comme vous Nikos. C’est un plaisir de converser, d’échanger. Je ne suis pas isolée comme en mars dernier.

N. A. : Il paraît que Charlotte vous a filmée pendant trois ans pour réaliser un documentaire…

J. B. : Oui, c’est vrai et j’ai autant appris sur elle qu’elle a appris sur moi. Entre nous deux, c’est une complicité essentielle que nous n’avons pas eue depuis les sept dernières années. Quand Kate est partie, Charlotte s’est envolée pour New York. Pour moi, c’était une séparation douloureuse et triste mais que je la comprenais parfaitement bien. En réalité, on n’a pas pu avoir de vraies conversations depuis quelques années, elle est mariée, elle a ses enfants. La possibilité de partir avec elle, en Bretagne, à Tokyo, à New York pour bavarder, pour se dire les choses… Pour moi, c’était une grande émotion.

N. A. : Trois filles, trois amours, vous êtes grand-mère, actrice, chanteuse : qu’est-ce que vous gardez de tout ça ? De toute une vie passée entre passion et don de soi ?

J. B. : Mes enfants. J’espère que je n’ai pas trop mal fait les choses avec mes filles. Tous les parents formulent cette même interrogation, je pense, même ceux qui n’ont pas d’enfants et qui ont un être cher auquel ils tiennent. Il y a eu tellement de phases, d’histoires, d’épreuves entre nous cinq avec le fils de Kate et tous les autres petits-enfants que j’espère juste avoir été à la hauteur. Et que mes filles conservent un sens de l’humour pour me pardonner mes erreurs.

N. A. : De l’humour pour s’en sortir aussi ?

J. B. : Non, elles s’en sont sorties merveilleusement. Mes trois filles ont mieux réussi que leurs parents. Kate a été une merveilleuse photographe, ses photos ont d’ailleurs été prises pour la Bibliothèque nationale, Charlotte avec ses César, les prix à Cannes, la musique et Lou qui a frayé son chemin avec tant de difficultés, avec des personnes encombrantes autour d’elle. Elle a trouvé une voix qui n’a rien à voir avec la nôtre. Une voix magnifique, élégante. Et Lou est si généreuse. Je suis très fière de mes filles. Vraiment.

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