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Iggy Pop : “Personne ne me dit de changer mes putains de paroles, OK ?"
Interview.- À 75 ans, l’icône punk s’active sur tous les fronts : duos avec de jeunes artistes, clip engagé, émission à la BBc, campagne de mode, cinéma… Et bientôt, la scène, sa passion ! L’“iguane” est un magnifique caméléon.
Comme il le rappelle avec éclat dans son concert de 2019 à l’Opéra de Sydney, l’«Iguane» est toujours la formidable machine de guerre scénique qui a révolutionné le rock avec les Stooges, à la fin des années 1960. Depuis, celui que l’on a aussi surnommé le «Parrain du punk» n’a cessé de stupéfier par sa façon de communier avec le public, de réconcilier l’art populaire américain (le blues rural, l’énergie primaire et brutale du rock) et l’art d’aujourd’hui (en collaborant avec Jeff Koons, Jim Jarmusch ou Martin Scorsese). En dépit du Covid, ce «sale petit virus» auquel Iggy Pop vient de consacrer une chanson, l’icône rock de Lust for Life ou de China Girl (coécrite et reprise par David Bowie) n’en accumule pas moins les projets : émission sur la BBC, duos, film, sans oublier la nouvelle campagne Gucci dont il est l’égérie… Depuis sa maison de Miami, entouré de perroquets et d’alligators, l’infatigable rockeur raconte. Exclusif.
Madame Figaro. – Vous chantez la soul et le jazz sur Breathe, le magnifique album du légendaire organiste Dr. Lonnie Smith. Qu’est-ce qui vous a amené à enregistrer des standards comme Why Can’t We Live Together ?
Iggy Pop. – Aujourd’hui, plus que jamais, les paroles de cette chanson («Pourquoi ne pouvons-nous pas vivre ensemble ?», NDLR) sont pleines de sens. J’ai toujours été très intéressé par la politique : j’ai fait du porte-à-porte pour la campagne de John F. Kennedy ! Vers 18 ans, j’ai décidé que j’allais faire de la musique ma vie, mais je n’ai jamais abandonné l’espoir d’y insuffler le sens de la démocratie. Je pense que le jazz, par sa sémantique élaborée, est une formidable façon d’aider à réfléchir. Nous avons enregistré ces morceaux en live, tous en cercle : Lonnie Smith était en face de moi, avec son turban, son sourire de Satan et une folle envie d’envoyer un message de paix, d’espoir, de rêve… Une joie enfantine.
Vous chantez aussi avec des artistes français…
Voilà un moment que j’observais la trajectoire de Thomas Dutronc : ça m’amusait de voir ce gamin, le fils de Françoise (Hardy), avec laquelle j’ai chanté, jouer du Django Reinhardt avec des musiciens manouches, puis oser écrire ses propres morceaux. Son album Frenchy est excellent : il m’a demandé de chanter C’est si bon avec lui, et j’ai suggéré que Diana Krall nous rejoigne au piano. J’ai aussi renvoyé la balle à Clio en enregistrant avec elle L’Appartement, car son écriture est très élégante, et sa voix à la Jane Birkin a un charme fou. C’est vrai, j’ai un faible pour la culture et la chanson française.
Dans votre émission de radio à la BBC, vous présentez beaucoup de jeunes artistes. Quelles sont vos préférées ?
Il y a un nombre extraordinaire de jeunes auteures, interprètes et musiciennes qui assurent vraiment, et dans tous les styles. Par exemple, la chanteuse londonienne Arlo Parks est pour moi une vraie révélation : elle a 20 ans et la capacité d’émouvoir d’une vieille âme soul. Ou la Californienne Phoebe Bridgers : 26 ans, très charismatique, avec une voix indie folk à tomber. Les femmes d’aujourd’hui sont beaucoup plus fortes que les hommes, et dans les arts, c’est flagrant.
C’est tout de même formidable que Billie Eilish déclare : «J’adore David Bowie, Lou Reed et Iggy Pop…»
C’est génial et normal aussi, quelque part. Sa génération et la mienne avons beaucoup en commun, comme le fait d’être convaincus que la bonne musique, les bons livres, vous protègent du bruit extérieur, de la cacophonie des idées communes. Ce que cette génération exprime, c’est : «J’ai quelque chose à vous dire et je prends la parole. Ça ne va pas plaire à tout le monde, mais je m’en fous.» Christine and the Queens a eu le courage de le faire en se définissant comme une artiste hors genre ; Billie Eilish le fait en secouant les codes de la mode, dece à quoi une pop star devrait ressembler. Mais attention, elle est très consciente de l’héritage du passé.
Vous êtes une égérie de la nouvelle campagne Gucci. N’est-ce pas un crime de lèse-majesté de la part d’Iggy des Stooges, le précurseur du punk, d’être associé à la frivolité ?
C’est simplement ridicule ! Le rock et le punk sont liés à la culture pop et à la mode depuis toujours. David Bowie, Patti Smith et moi n’avons cessé de chercher des styles vestimentaires glamour que nous portions à la ville comme à la scène. L’idée était de faire de notre vestiaire une œuvre d’art, et vice-versa. Et je suis frivole ! Je trouve très amusant que l’on diabolise la mode, c’est d’une hypocrisie hilarante. L’obsession pour l’apparence nous concerne tous.
Dans le clip de Gucci, on vous voit danser avec le rappeur afro-américain Tyler The Creator, qui a participé au mouvement Black Lives Matter. Un mouvement que vous soutenez ?
Bien sûr ! Je crois que les manifestations de Black Lives Matter sont organisées et pacifiques. Que faire dans la situation actuelle ? Le racisme, ici, est une constante. Notre pays doit se regarder en face. Il doit évoluer. Une partie de l’Amérique est consciente des batailles gagnées pour les droits civiques. Mais il y a une autre Amérique, différente, avec des gens qui voudraient qu’on réintroduise des lois interdisant l’homosexualité, d’autres qui nient notre démocratie. Cela me rappelle mon enfance, au début des années 1950. Beaucoup de gens voudraient revenir à cette époque. Pas moi.
Vous avez récemment dévoilé une chanson sur une musique rappelant vos collaborations avec David Bowie, Dirty Little Virus… Racontez-nous.
Un musicien californien très connu, que je ne nommerai pas, m’a demandé d’écrire une chanson sur le Covid avec lui. Je lui ai envoyé un enregistrement, et il m’a répondu : «C’est super ! Mais il faut changer ton texte.» Personne ne me dit de changer mes putains de paroles, OK ? Alors je l’ai reprise et mise en musique par le trompettiste Leron Thomas. Le texte parle de la star de l’année, le virus. J’ai été guidé par la nécessité d’écrire des paroles sans fard, pas trop émouvantes ni trop profondes, comme du journalisme : qui, quoi, comment.
Qu’est-ce qui vous porte en ce moment ?
Je joue au golf… J’ai de nouvelles mélodies en tête, qui ne me quittent pas. Je viens de rentrer des îles Caïmans, où j’ai tourné une comédie déjantée, Blue Iguana, de Jeremy LaLonde : j’y joue le rôle d’un patriarche dans une famille qui s’entretue pour mon argent.
Comment vivez-vous ce monde sans concert, alors que vous passiez votre temps en tournée ?
J’ai pris très au sérieux les risques et les conséquences de cette pandémie. J’ai eu très peur, aussi, parce que j’ai 75 ans. Mais, à un moment, il faut prendre le risque de vivre avec ce virus. Je ne suis pas indestructible, et Keith Richards non plus, mais on veut remonter sur scène. J’espère que tout va bientôt repartir ! Moi, je suis vacciné, et je suis prêt à reprendre la route !
Dirty Little Virus, BMG.
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