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Hollywood – L'irrésistible ascension de Florian Zeller
A 41 ans, Florian Zeller, petit prince du théâtre, pourrait bien devenir l’enfant chéri de Hollywood. En salle depuis le 12 mars aux Etats-Unis, « The Father », son premier film adapté de sa pièce « Le père », a décroché six nominations aux Oscars. Dont celles du meilleur long-métrage, du meilleur scénario et du meilleur acteur.
Six nominations aux Oscars pour son premier film ! On dirait un conte de fées. Pour autant, pas question de rêver. La concurrence fait froid dans le dos : « Nomadland » avec Frances McDormand ; « Mank » de David Fincher avec Gary Oldman ; « Judas and the Black Messiah » qui raconte la vie et la mort d’un héros Black Panther complètement dans l’air du temps de Black Lives Matter ; « Minari » sur une famille américano-coréenne elle aussi parfaitement jumelée à l’actualité ; « Promising Young Woman » avec Carey Mulligan ; « Sound of Metal » sur l’histoire d’un musicien rock devenu sourd ; « Les sept de Chicago » avec Sacha Baron Cohen. C’en est presque décourageant. Il faudrait un miracle. Ça arrive. « The Artist », l’unique Oscar français du meilleur film, était un pastiche de film muet en noir et blanc. De notre part, les Américains s’attendent à tout. Avec « The Father », ils sont servis : un vieux monsieur atteint d’Alzheimer qui ne sort pas de chez lui. Ce serait un vrai coup de théâtre. Bonne pioche : c’est le domaine de Florian Zeller.
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L’an dernier, en mars, quand le confinement s’est abattu sur toutes les scènes du monde, on jouait une de ses pièces dans une quarantaine de villes sur terre. Et cette semaine, alors qu’acteurs et metteurs en scène français continuent, désespérés, de ronger leur frein, il y a des représentations de Zeller en Chine, au Japon, à Singapour, à Taïwan, en Australie et en Nouvelle-Zélande. En cherchant bien, on en trouverait en Malaisie ou en Indonésie. C’est simple : ses deux agents, l’une à Paris, l’autre à New York, ont littéralement quadrillé la planète. Zeller est né sous une bonne étoile.
Beau, bien élevé, cultivé, élégant… A première vue, c’est vraiment le jeune homme d’Auteuil livré avec toutes les options. Sain comme l’eau bénite, calme comme le lac du bois de Boulogne, il a la voix veloutée de ceux qu’on n’a jamais contrariés. On se dit qu’enfant, sa chère maman a dû l’inscrire aux matinées de la Comédie-Française. On l’imagine formé à la culture classique par un bon collège jésuite. Rien de tel : « J’ai été élevé entre Senlis et Chatou et je n’ai jamais mis les pieds dans un théâtre dans ma jeunesse. Ma passion me portait plutôt vers les compositeurs. Mon intérêt pour la tragédie et la comédie se résumait à Corneille, Racine, Molière et autres géants lointains inscrits au programme. » Du reste, après Sciences po, cherchant sa voie, il commence par publier des romans. La lecture de Kundera ou celle de « L’attrape-cœurs » l’influencent un peu trop mais le charme opère. Il obtient très vite le prix Interallié. La vie a décidé qu’il serait gâté. Du coup, elle lui indique aussi quelle est pour lui la bonne voie.
Quand il a 23 ans, connaissant son goût pour la musique, le responsable d’un festival à Montpellier lui propose d’adapter le livret d’un opéra hongrois. Son texte sera lu par des acteurs. Il s’y met. Et découvre sur place les comédiens en question : Gérard Depardieu et Micha Lescot ! Un choc incroyable. Leur interprétation est bouleversante. Zeller est touché au cœur. Comme Claudel à Notre-Dame, le jour de Noël, sa vie prend un sens. Il écrira pour le théâtre. A compter de cette date, il y passera sa vie. Désormais, il voit des spectacles tous les soirs.
Molière a été acteur avant d’être auteur. Récemment, parmi les grands du milieu en France, Yasmina Reza, Sébastien Thiéry, Alexis Michalik, d’autres encore viennent du plateau. Zeller, lui, ne sera jamais acteur. Mais toutes ses pièces, il va les écrire pour un acteur ou une actrice : « Le premier qui m’a inspiré est Nicolas Vaude. Il m’avait fasciné dans “Le menteur” de Corneille. J’ai aussi eu des coups de cœur pour des metteurs en scène. Ladislas Chollat, par exemple, que j’avais vu à Beauvais, où il avait monté “Médée” d’Anouilh. »
C’est l’époque des coups d’essai : « La fascination du pire », « L’autre », « Le manège ». L’époque aussi des petites salles : les Mathurins, le Studio des Champs-Elysées, le Poche-Montparnasse… Mais c’est déjà celle du succès. L’accueil est bon. Il y a une patte Zeller. Ces comédies légères ont un ton de marivaudage, on y trouve un air de Sagan, un univers à la Sautet… Mais on y repère aussi une façon qui rappelle Carlos Saura. D’un moment à l’autre, le même acteur joue deux personnages ou échange sa personnalité avec son partenaire. On dirait qu’on offre au spectateur un puzzle à reconstituer. Faites confiance au mystère : il dévore tout ce qui peut l’alimenter. Impossible de paisiblement s’assoupir comme d’habitude, on reste en éveil et on se pose des questions. Comme dans « Mulholland Drive », le film de David Lynch que Zeller a adoré, des scènes se contredisent avant de se reconnecter. C’est aussi simple que subtil. De légères histoires d’amour se transforment en jeux de piste. Des scènes à basse tension vous accrochent comme un hameçon.
Calme et réservé, il n’en fait jamais trop. Ni lui ni Marine Delterme, sa femme depuis quinze ans, n’aiment attirer l’attention
Le milieu est tout de suite aux aguets. Très vite, des salles beaucoup plus grandes accueillent Zeller. Le Théâtre de Paris, Hébertot, le Montparnasse… Grosses jauges et grosses affiches. Des stars apparaissent sur ses placards : Catherine Frot pour « Si tu mourais », Laetitia Casta dans « Elle t’attend », Catherine Hiegel dans « La mère ». On est en 2010, il a à peine 30 ans, les coups d’essai sont passés, l’heure des gros succès a sonné. Désormais il va écrire pour des acteurs bien précis. Et élargir sa palette. Il y a la comédie qui peint les caractères, la tragédie qui décrit les passions et puis il y a Guitry qui épingle les premiers et parfume les secondes. Zeller est fasciné quand il voit Pierre Arditi dans « Faisons un rêve ». Il va écrire pour lui. Ce sera « La vérité », puis quatre ans plus tard « Le mensonge ».
Dans la première, tout le monde ment à un menteur. Dans la seconde, il se met à dire la vérité et commet des ravages. Ce n’est pas méchant, mais un peu pervers. Fini Marivaux, on est sur les boulevards chez Feydeau et Labiche. Arditi se déchaîne. Le public adore, la critique approuve, les stars approchent.
Robert Hirsch veut une pièce. Ce sera « Le père ». Luchini tape au carreau. Il récolte « Une heure de tranquillité ». Plus tard, il y aura « Le fils » avec Yvan Attal qui se fait voler la vedette par Rod Paradot et n’apprécie guère. Le public, en revanche, est emballé. Dans cette pièce, un adolescent cherche sa place dans une famille recomposée. Il ne la trouve pas mais le récit montre la société actuelle telle qu’elle est. Tout comme dans « Le père », où le visage de notre époque se dessine à travers la manière dont une famille traite un vieux monsieur frappé de démence sénile. Pas question, pour Zeller, de commenter l’actualité. Il l’attrape en montrant nos cicatrices. Quand il pense politique, il cite Tchekhov. Un serf devenu propriétaire ou une famille obligée de vendre sa cerisaie pour payer ses dettes tendent un parfait miroir à la Russie tsariste.
De Harold Pinter, une autre de ses idoles, il ne commente pas non plus les engagements publics mais juge révolutionnaire le non-dit de son théâtre où le public comprend « non » quand les personnages disent « oui ». Pour Zeller, un bon message passe sans éclats. Chez lui, l’émotion et les frustrations s’emboîtent comme des roulements à billes, tout comme les sourires et les déceptions. Pas besoin des « stances » du Cid ou des imprécations de Camille pour faire monter les larmes. Pas de vernis culturel non plus. Ce n’est pas Guitry : il n’est pas fier de chacune de ses phrases comme s’il avait pondu un œuf de Pâques. Sa philosophie du style est arrêtée : « Tout doit couler de source. » Quand la simplicité n’efface pas la pensée, elle l’aiguise.
A lire la liste des œuvres de Zeller, la famille semble devenue son terrain d’aventures favori. Et son meilleur livre de rentes. De Bogota à Tokyo, partout dans le monde, les anciens premiers rôles devenus cacochymes se jettent sur le personnage déchirant du « Père ». C’est le chant du cygne incontournable pour ceux qui veulent se voir une dernière fois en haut de l’affiche. Même succès pour « La mère ». A New York, Isabelle Huppert l’a même jouée en anglais. On dirait Zeller condamné au succès. Bafta, Bifa, Golden Globes, Molières, Goya : la liste de ses prix est ahurissante, celle de ses nominations extravagante. On sent que les données à dix chiffres vont longtemps clignoter sur ses comptes en banque. Mais le plus stupéfiant, c’est le calme avec lequel il accueille cette bonne fortune. Dans un univers artistique où on est amis comme le bras et le pied, il glisse comme un gondolier sur la lagune. Un bonheur serein l’accompagne.
Depuis quinze ans, il vit avec Marine Delterme. Top model dans sa jeunesse, actrice ensuite, elle a tourné dans une quinzaine de films dont « Les nuits fauves », « Fanfan », « Vatel »… Depuis vingt ans, elle incarne une juge à la télévision, Alice Nevers. Mais sa passion, c’est la sculpture qu’elle pratique d’ailleurs en professionnelle. L’art est très important pour elle. Avoir interprété le rôle de Berthe Morisot, l’artiste peintre amoureuse de Manet, reste un de ses meilleurs souvenirs. Ensemble, ils ont eu un fils, Roman, mais Zeller a aussi élevé Gabriel, celui qu’elle avait eu avec l’acteur suisse Jean-Philippe Ecoffey. Ce sont deux stars qui vivent tranquilles à l’écart. Chamfort disait que l’homme le plus pauvre du monde est l’avare. Ce n’est pas le genre de Zeller. Il a un appartement superbe près du parc Monceau, il s’est offert une maison en Normandie près de Deauville, il en loue une autre magnifique l’été en Corse, pour aller voir une pièce à New York il prend l’avion comme vous et moi le bus mais il n’est jamais « show off ». Dans son charme, le sourire et la retenue sont les yeux et les mains. Il n’en fait jamais trop. Il n’aime pas attirer l’attention. Carla Bruni a beau être intime avec Marine Delterme depuis l’époque où elles travaillaient à New York, le couple a toujours laissé dans la pénombre son amitié pour Nicolas Sarkozy ou leurs week-ends à la Lanterne. Chez eux, ils reçoivent des acteurs, des écrivains ou les métallos qui fabriquent les pièces de Marine. Ce sont des soirées de copains, pas des réunions pour « Vanity Fair ».
«Tout doit couler de source» est sa philosophie
Dans une société médiatique où les dents sont taillées en pointe comme des pics à glace, Zeller ne signe pas de pétitions pour poser à l’intellectuel. Il ne se mêle pas de morale pour imiter ceux qui font mine de s’indigner de ce qu’ils ne ressentent pas… Pour autant, il observe tout autour de lui et cite volontiers en ce moment « La tache », le roman visionnaire de Philip Roth qui annonçait la vague de moralement correct qui déferle. S’en inspirera-t-il un jour pour une pièce future ? Possible, tout fait farine dans l’imagination d’un auteur. Dans celle de Zeller, cela dit, c’est d’abord un visage, une voix, une démarche, une silhouette ou un ancien rôle qui déclenchent l’idée d’un personnage. Pour « Le père », dès le premier jour, il voulait Anthony Hopkins. « Dans le scénario, le personnage a d’ailleurs eu d’emblée ce prénom. De même, je voulais Olivia Colman, ancienne actrice comique pour la télé, qui a éclaté dans “La favorite” où elle jouait la reine Anne, comme elle est aujourd’hui Elizabeth II dans “The Crown”. J’étais allé plusieurs fois la voir jouer à Londres d’un coup d’Eurostar. »
Il n’y a pas plus pro que lui. A l’étranger, particulièrement à New York, il regarde tout ce qui sort et tout ce qui marche. En France, il se glisse dans les théâtres pour ne pas se raconter d’histoires sur la façon dont le public reçoit ses textes. C’est son truc : ne jamais rien faire à moitié. Sauf, cette année, pour la campagne des Oscars. Covid-19 oblige, il reste à attendre sage comme un arbre. Prions pour que sa bonne étoile l’accompagne jusqu’en Californie.
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