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Gad Elmaleh, sa drôle de vie
Ce bosseur acharné de bientôt 50 ans vient de sortir « Dansez sur moi», un album de reprises de Claude Nougaro et rode «D’ailleurs», un nouveau spectacle. L’ancien gamin de Casablanca a su faire de sa vie un théâtre. Pour Paris Match, il en dévoile les coulisses. Sans fard et sans vannes.
L’animal tourne en rond. Regard bleu nerveux, silhouette agitée. Prêt à bondir. Gad Elmaleh n’en peut plus de ne plus jouer. Privé de scène depuis un an, son temps file trop lentement. Bosseur compulsif, ambitieux anxieux, le voilà au chômage technique, fou d’impatience de présenter son nouveau spectacle.
En attendant, l’humoriste en hibernation s’essaie à la vie domestique. Chez lui, dans son appartement du VIIe arrondissement de Paris, il passe l’aspirateur, joue du piano, cuisine du poulet grillé. On le voit marcher boulevard Saint-Germain ; il va chercher son fils Raphaël à l’école, se promène dans le jardin des Tuileries avec son ami Roschdy Zem. Et il réécrit son futur show, coupe, remplace, rallonge, affine. Indéfiniment. « J’ai revu ma copie dans tous les sens. Je n’ai jamais autant bossé un texte », confie-t-il. Il a vendu, en cinq jours, 140 000 places de sa tournée prévue jusqu’en février 2022. Un record. Gad Elmaleh se sait attendu.
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Depuis qu’il a été accusé de plagiat, il sait aussi que chacun de ses sketchs sera décortiqué, peut-être suspecté. En janvier 2019, un montage vidéo, vingt-sept minutes dévastatrices publiées anonymement sur une chaîne de YouTube baptisée « CopyComic », comparait ses répliques à celles d’humoristes américains, québécois ou français. Les emprunts étaient évidents. Des « vols », aux yeux de certains. Des « inspirations », plaide Gad. Il concède : « C’est vrai qu’il y a des moments trop ressemblants. Mais ce sont quelques minutes, tirées de plusieurs heures de shows. Le montage est malhonnête. Il y a des idées que j’ai empruntées à Jerry Seinfeld, par exemple, en le revendiquant. »
Il préfère insister sur les autres sources de sa création, plus personnelles : « Je me suis toujours inspiré de mon entourage. Mon personnage d’agent immobilier marocain, c’est un copain de Casablanca. “Coco”, c’est Simon, un homme que j’ai bien connu, décédé cette année. » Il s’insurge contre la méthode, la « délation anonyme ». « Je suis étonné qu’un individu si assoiffé de justice se protège autant. » Et interroge : « Pourquoi jamais aucun auteur n’est venu me reprocher de l’avoir plagié ? Ou ne m’a attaqué en justice ? » Sa réponse : « Parce que ce n’est pas assez fondé. » Ils sont nombreux comme lui, Tomer Sisley, Mathieu Madénian, Thomas Ngijol, Michaël Youn, Michel Leeb, Arthur, Jamel Debbouze, Roland Magdane, à être visés par ces vidéos compromettantes. L’humour français vacille. Gad Elmaleh, le plus populaire de ses vedettes, s’effondre. Le fier perd de sa superbe.
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Au moment de la polémique, j’ai soupçonné tout le monde. Un faux combat, malsain. J’ai laissé tomber
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Derrière son talent, reconnu, le public découvrait alors la cuisine de l’écriture et les recettes du rire, les nuances et les non-dits de ce qu’il appelle l’« inspiration ». Gad n’a pas porté plainte mais il a enquêté pour tenter de démasquer CopyComic. Sans y parvenir. « Je voulais savoir. C’était une erreur, naïve », soupire-t-il. Par Twitter et Facebook, il a pu remonter jusqu’aux émetteurs des vidéos de YouTube, mais il n’a pas pu découvrir l’identité précise du (ou des) accusateur(s). Il est persuadé qu’il s’agit de plusieurs personnes, « des gens qui n’ont pas intérêt à se faire connaître ». Il ajoute : « J’ai soupçonné tout le monde, tous les humoristes y sont passés. Je me suis demandé si c’était une ex, un collègue, un concurrent. Un faux combat, malsain. J’ai laissé tomber. »
Fragilisé par la secousse, Gad Elmaleh observe les réactions de son entourage et prend des décisions. « J’ai fait un grand ménage. Certaines personnes du métier m’ont enfoncé, publiquement, pour ensuite me demander de faire la première partie de mon spectacle. Je ne suis pas fâché mais je ne veux plus perdre de temps avec eux. » Pour surmonter la crise, il prend conseil auprès d’une experte en communication. Il tient alors le premier rôle de « L’invitation », une pièce de boulevard de Philippe Lellouche. Chaque soir, il salue une salle comble, tandis qu’au dehors les attaques sont vives.
La vanne est son langage. une armure qui tient les autres à distance
Nous le rencontrons quelques mois plus tard, en août 2020, à la terrasse d’un café, souvenir d’une vie plus légère, entre deux confinements. Il nous fait rire une soirée entière. Sous ses mots, passants, serveurs et voisins de table deviennent des personnages. Eux-mêmes hilares. Il va vite, rien ne lui échappe. La vanne est son langage. Une armure, aussi, qui tient les autres à distance. Quelques jours après, à Toulouse, il paraît plus fébrile. Il chante ce soir-là, en public pour la première fois, entouré des musiciens avec lesquels il a enregistré un disque de reprises de Claude Nougaro. Les jazzmen Jérémy Hababou et Eric Legnini lui ont permis de réaliser ce rêve de gosse. « Signer avec eux sur le label Blue Note, c’est comme entrer au Real Madrid quand on joue un peu au foot », lance Gad.
Une dizaine d’invités ont été conviés sur une péniche, amarrée dans le quartier des Ponts-Jumeaux, dont Cécile Nougaro a fait un lieu de mémoire et de création dédié à son père. Baskets blanches, veste noire, le chanteur débutant attrape le micro et guette les premiers accords de piano, le rythme de la contrebasse. « Ce n’est pas un hommage. C’est une déclaration d’amour, confie-t-il. J’ai toujours chanté, mais Nougaro m’a permis d’aller vers la chanson sérieusement, comme si sa musique m’allait bien. » Il s’inquiète de plaire, craint qu’on lui reproche de singer Nougaro, aimerait qu’on entende d’abord Elmaleh. Entre « Toulouse », « Les Don Juan » et « Le cinéma », il ne peut retenir quelques mots d’humour. L’émotion survient pour raconter l’enfance, le tourne-disque de son oncle, les notes de la chanson « Armstrong », découvertes à 6 ans.
Des failles apparaissent. La fête se poursuit au bord de la Garonne. Il boit un verre de vin, fait mine de s’amuser, mais l’œil est inquiet, l’esprit préoccupé. Dans les rues, sa popularité ne faiblit pas. Il est sans cesse arrêté, photographié, félicité. La semaine suivante, à Bordeaux, Gad Elmaleh retrouve son premier métier. Au théâtre Trianon, il présente son nouveau spectacle, « D’ailleurs ». Une représentation rare en ces temps de pandémie, juste le temps de « roder » ses sketchs en attendant de pouvoir partir en tournée. Les 250 spectateurs l’applaudissent longuement. Lui sort de scène insatisfait. Il emmène son équipe dîner dans un restaurant mais pense déjà aux passages qu’il faudra retravailler : début trop long, fin trop courte, milieu trop… La star doute.
Depuis « Sans tambour », en 2013, il n’a pas joué de nouveau spectacle en français. Ces sept années ont changé l’homme, en tous points. Bien avant l’affaire CopyComic, il a voulu se lancer aux Etats-Unis. Il s’est installé trois ans à New York, a joué en anglais sur les terres de ses « idoles », Jerry Seinfeld, Chris Rock et Kevin Hart. Sa tournée « Oh My Gad » l’a emmené sur les routes américaines, dans les minuscules salles des « comedy clubs ». On l’a invité telle une bête curieuse dans des émissions de télévision où personne ne connaissait son nom. Il en parle comme d’un « fantasme » assouvi. « Ça m’a permis de comprendre que ma place n’est pas là-bas ». Il en a tiré un stand-up d’une heure, « American Dream », et une série « Huge en France », tous deux diffusés sur Netflix en 2018 et 2019. « Il est parti pour quitter sa zone de confort, confie sa sœur Judith Elmaleh. Il n’aime pas ronronner. »
Réaliser son rêve américain lui a fait préférer sa réalité française. A Paris, le fils prodige retrouve ses parents, mais les accusations de plagiat assombrissent son retour. Le sujet est peu évoqué en famille. « Peut-être qu’il craignait qu’on lui fasse des reproches », avance son père. David Elmaleh, 80 ans, yeux pétillants et sourire charmeur, ajoute, un brin ému : « Il avait peur que l’on soit déçus. » « On en était malades, poursuit Régine, la mère. Ça nous a pris au ventre. Il était tendu, malheureux. Il a beaucoup changé. Ni en pire, ni en mieux, mais il y a eu un changement. »
Gad croque avec tendresse la famille princière et son propre clan : « glamour et paillettes » d’un côté , « semoule et boulettes » de l’autre
Dans le Casablanca des années 1970, David Elmaleh était un comédien amateur, mime réputé, employé dans un magasin de jouets. Régine, son épouse, secrétaire dans un laboratoire pharmaceutique, participait aux pièces de théâtre mises en scène avec des copains. Leurs trois enfants, Judith, Gad et Arié, ont grandi dans les coulisses de ces représentations amicales, encouragés à jouer la comédie autant qu’à travailler à l’école. Mauvais élève – « une vraie catastrophe », se souvient Judith Elmaleh –, Gad excelle lors des réunions de famille où il imite les voisins, chante et joue du piano. Quand le frère et la sœur partent ensemble au Québec, ils n’ont pas 18 ans. Là-bas, Gad obtient le bac et s’inscrit à l’université, en sciences politiques.
Pour gagner sa vie, il se lève chaque matin à 4 heures et livre des journaux. Puis, il s’envole pour la France et passe le concours d’entrée de la classe libre du Cours Florent. Reçu. Il appelle Casa, crie dans le téléphone : « Je l’ai eu ! » « On ne s’y attendait pas du tout », se souvient la mère. « Un des plus grands événements qu’on a vécus », sourit le père. Eux avaient la passion… Gad a eu l’audace. Toute la famille se rassemble à Paris à partir de 2000. Une année de grâce : Gad décroche l’Olympia. En couple avec l’actrice Anne Brochet, il a son premier fils, Noé. Six ans plus tard, sa sœur devient la coauteure de celui dont le succès croît formidablement.
Il se dit célibataire et s’est inscrit sur une application de rencontre
Depuis les accusations de plagiat, le tandem a pris de nouvelles habitudes d’écriture et se fait aider de Frédéric Hazan, auteur de stand-up. Ils progressent avec prudence, vérifient si leurs gags n’existent pas déjà. Judith Elmaleh donne un exemple : « Un jour, on a pensé à une histoire au sujet d’un oncle. On a vu qu’un humoriste italien avait fait la même chose, on a abandonné. » Gad parle d’un « réflexe parano » : « Je me force à faire attention aux thématiques que l’on aborde, à être original. » Depuis « Décalages », son premier one-man-show, en 1997, il parle de lui pour faire rire.
Dans « D’ailleurs », il pousse plus loin le récit personnel, s’ouvre pour mieux se protéger. « Personne d’autre que moi ne peut raconter qu’il a été avec la petite-fille de Grace de Monaco. Personne d’autre ne peut dire qu’il a fait un show en anglais aux USA. » Dans ses nouveaux sketchs, on croise le prince Albert, Brad Pitt, l’arrière-grand-mère Elmaleh, les parents d’élèves de la classe de son petit garçon. Et sa mère, bien sûr. Régine Elmaleh, muse élégante et facétieuse, idéale pour le comique qui lui attribue les meilleures reparties. Il la décrit arrivant au palais de Monaco pour rencontrer la famille de Charlotte Casiraghi, appelant le souverain « Mon Ordonnance », marchant la tête haute. « J’ai exagéré beaucoup de choses à son sujet, mais là-bas, elle avait vraiment une démarche différente ! » taquine-t-il. Le Rocher est pour lui une mine d’idées, une source infinie de blagues, qu’il distille sans méchanceté. Il croque avec tendresse son ex-belle-famille confrontée à son propre clan : « glamour et paillettes » d’un côté, « semoule et boulettes » de l’autre.
C’est en 2011 qu’il fait la connaissance de la fille aînée de la princesse Caroline, chez une amie, Virginie Coupérie, qui l’avait invité à boire un café. « Charlotte était là, je suis tombé amoureux », dit-il. A sa sœur, il annonce : « J’ai rencontré une fille, tu vas pas le croire, sa famille va à la chasse. » Avec le recul, il explique : « Je suis un 4 x 4 social, je peux me balader sur tous les terrains. » L’enfant de Casablanca découvre « un autre univers », où il est accueilli « avec chaleur » par les Grimaldi. « Charlotte est impliquée pour son pays, elle organise des conférences de philo passionnantes, mais elle n’a pas de titre princier. Ça facilitait les choses. » Il décrit Caroline de Hanovre « très drôle, fine, élégante », et Albert, « très bon imitateur ». Le mélange de leurs cultures le réjouit. Il joue de sa position d’« outsider », « de blédard, dirait-on chez nous, qui observe et ne comprend pas tout ». Quand Charlotte Casiraghi vient dîner pour la première fois chez David et Régine Elmaleh, Gad lui fait croire que sa mère a voulu porter un diadème en son honneur. Leur fils Raphaël, né en 2013, passe d’un monde à l’autre : « Il monte à cheval comme sa mère et fait le show comme son père. C’est un mélange “monakech” ! »
Le couple se sépare en 2015 mais est resté en bons termes. Aujourd’hui, Gad Elmaleh se décrit comme un célibataire « pas malheureux ». Il s’est inscrit sur l’application de rencontre Raya, un réseau social que l’on rejoint par cooptation. L’homme aime séduire, conquérir ; pour cela, il possède une arme fatale : son humour, vif, turbulent. Ces jours-ci, il s’acharne à trouver des solutions aux restrictions sanitaires. S’il ne peut pas jouer son spectacle en public, il prévoit de le fairefilmer puis diffuser sur une plateforme de streaming. Il ne voit plus ses amis que par FaceTime, échange avec eux d’innombrables messages vocaux. Roman Frayssinet, Malik Bentalha, Kev Adams, Hakim Jemili, les représentants de la jeune garde de l’humour français sont ceux avec qui il parle le plus souvent. Des conciliabules de comiques pour se remonter le moral et trouver des échappatoires, à Dubaï ou à Monaco, là où ils peuvent encore se produire.
Bientôt 50 ans, toujours à la poursuite de défis plus grands, de succès plus éclatants. Parfois, Gad s’arrête, quitte son monde vibrant, s’offre des heures de solitude. En 2015, ce croyant de confession juive est parti en retraite à l’abbaye cistercienne de Sénanque, dans le Vaucluse. Il se rappelle des champs de lavande, des repas pris en silence, la beauté des offices. Allongé dans sa cellule, la mélancolie de l’enfance lui revenait, des envies d’ailleurs… Les moines ne connaissaient ni son nom ni son métier. Il avait oublié un instant d’être drôle. Quelques jours seulement.
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