Fabrice Midal :"Laissons les hypersensibles gérer cette crise !"

Dans un nouveau livre, le philosophe invite à voyager au cœur de l’hypersensibilité, une singularité qui, bien comprise, devient une force. Il appelle à la mettre à profit pour humaniser la bureaucratie.

Madame Figaro. – Pourquoi ce thème de l’hypersensibilité ?
Fabrice Midal.
Cette enquête est partie d’une interrogation sur mon propre cas. J’ai longtemps été une énigme pour moi-même, car je ne réussissais pas à mettre des mots sur ce «trop» qui était ma manière d’être. Trop de sensations, d’émotions, trop d’idées qui fusent dans le désordre… Je ne savais que faire de l’intensité qui me traversait. J’ai passé mon adolescence à surréagir : au froid, à la foule, aux blagues, aux projets, aux petits gestes de tendresse… Puis j’ai constaté que de plus en plus de gens vivent cette expérience, sans pouvoir la nommer. Or, l’hypersensibilité non reconnue est source de grande souffrance. Ce livre (1) est un mode d’emploi, une sorte de GPS pour s’orienter.

Comment définissez-vous l’hypersensibilité ?
Elle peut se manifester de mille manières. Par une réceptivité très intense à n’importe quel champ des cinq sens – on peut être bouleversé par un son, un parfum, un spectacle, etc. Par la capacité à ressentir fortement tout ce qui se passe autour de soi. Par une surréaction à un propos, à une attitude. Par une pensée en arborescence, qui va dans tous les sens. Il y a autant de formes d’hypersensibilité qu’il y a d’individus hypersensibles.

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Vous écrivez que l’hypersensibilité, loin d’être le lot de «petites personnes fragiles», est une chance. Pourquoi ?
Car ce «trop» qui parfois dérange, donne aussi de l’allant. L’hypersensible a une vulnérabilité qui, bien comprise, peut devenir une force incroyable. On le sait depuis Aristote, celui ou celle qui ne ressent pas d’émotion est incapable de prendre des décisions justes. Les hypersensibles ont un avantage… à la condition qu’ils aient compris leur mode de fonctionnement. Faute de quoi, ils courent à la catastrophe.

Comment une hypersensibilité peut-elle s’épanouir ?
Il faut vraiment la comprendre. Si vous ne reconnaissez pas que vous êtes hypersensible, vous vous sentez anormal et coupable, et vous multipliez les erreurs. La pire chose que l’on peut dire à un hypersensible, c’est : «Sois zen. Calme-toi». L’hypersensible a un don très précieux : il sait repérer ce que l’on appelle les «signaux faibles» et être précurseur. Il sait sortir des sentiers battus et a une capacité extraordinaire à sentir ce que les gens vivent, ressentent, attendent. C’est génial, vous ne trouvez pas ?

«Suis-je hypersensible ?», de Fabrice Midal, Éditions Flammarion/Versilio, 304 pages, 19,90 €.

Avec la crise sanitaire, constatez-vous qu’il y a de plus en plus d’hypersensibles ?
Je pense qu’il y a de plus en plus d’hypersensibles, non pas du fait du confinement, mais de la violence sociale qui s’exerce jusque dans le télétravail, s’exacerbe avec la solitude, avec les contraintes, avec l’impossibilité de faire des rencontres, de se confier à un collègue, de rire devant la machine à café ou de plaisanter à la cantine. Notre sort, depuis près d’un an, a été confié à des protocoles de bureaucrates, et nous sommes allés droit dans le mur. Il est temps de laisser les hypersensibles, qui sont en rapport avec la complexité du réel, prendre des décisions et agir. Parce qu’ils ont moins peur de la complexité, ils sont moins réductionnistes, plus ouverts sur la réalité telle qu’elle est. Laissons-les gérer cette crise !

(1) «Suis-je hypersensible ?», de Fabrice Midal, Éditions Flammarion/Versilio, 304 pages, 19,90 €.

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