Enzo Mianes, artiste tisseur de crin, au galop dans le chaos

Enzo Mianes, plasticien humaniste et résident de La Fondation d’entreprise Hermès, a travaillé le crin dans un joyeux chaos organisé. Portrait d’un artiste hors cadre.

Dans le hall un peu froid de l’établissement Marcel Gandit passe un Apache incongru, crinière noire, longue et raide. Entrée en scène d’Enzo Mianes, nappé de crin de cheval brut et masqué de circonstance. On pressent qu’un bazar enjoué a trouvé sa place au sein de l’entreprise, premier pôle d’excellence de la gravure et impression de la maison Hermès, situé à Bourgoin-Jallieu, en Isère. Le sérieux accueille le désordre créatif. Depuis quelques jours, débonnaire et concentré, l’artiste a installé ses «bestioles» en devenir au milieu de l’atelier des «roulotteuses» des carrés et cravates maison.

Atmosphère studieuse et îlot déjanté de l’artiste au centre. Le sisal rose et jaune déborde joyeusement des tiges de métal. Enzo Mianes les a soudées après un mois de résidence à Challes (Sarthe), dans le site de tissage artisanal de crin de cheval de la maison Hermès – un lieu unique au monde. Des tresses de crin s’enroulent autour de crânes de vaches, d’une pièce de scooter en plastique, d’un ventilateur en bout de course… Contraste total et bon enfant avec l’exigence silencieuse des couturières.

Enzo connaît tout le monde, laisse chacune intervenir comme elle l’entend sur son œuvre en construction et renvoie ainsi sa carte blanche à l’ensemble de la manufacture. «Il est le premier à toucher au crin et l’un des rares à donner autant de liberté à tous, artisans comme femme de ménage, raconte Gaël Charbau, commissaire du programme des Résidences depuis 2012. Son travail est aussi philosophique et profondément humaniste.» De quoi bien s’entendre avec l’esprit qui anime ce programme artistique.

Une grâce poétique

Avec Enzo Mianes, tout s’organise en acceptant ce qui vient. Ou plutôt, en suivant le conseil d’Épictète, dont il a fait sa maxime : «Ne demande pas aux choses que ce qui t’arrive t’arrive comme tu veux. Mais veille à ce que les choses arrivent comme elles arrivent, et tu seras heureux.» L’artiste est plutôt heureux. Et la devise du philosophe stoïcien lui réussit. Repéré à 21 ans par la galerie Mor Charpentier, alors qu’il est encore étudiant aux Beaux-Arts de Paris, l’artiste (diplômé avec félicitations en 2015) grandit avec ses galeristes et cumule les expositions en France, comme à l’étranger. La musique, qu’il pratique aussi avec un talent certain, le met sur la route d’un amateur, le plasticien Michel Blazy, rencontré par hasard – ou selon les vertus du destin stoïcien -, avant qu’une reconnaissance mutuelle ne scelle leur amitié.

Le nouvel ami devient le parrain confiant de cette résidence, déclinée presque en jeu de miroirs : Enzo Mianes vise à redonner la parole à des objets perdus, et Michel Blazy, à insuffler une vie naturelle dans des environnements qui en sont dépourvus. Une grâce poétique les réunit. «Finalement, j’archive un peu tout ce qui va disparaître», précise le jeune artiste. Il a exposé, entre autres, Les Vœux volés (2015), soit les milliers de clés des cadenas du pont des Arts jetées dans la Seine, et Vitrail d’arbre (2016), où des résines colorées transforment les grilles métalliques qui encerclent les arbres des villes. Pour La Portée du geste, l’installation née de sa résidence autour du crin de cheval, matériau inusité, sensible à l’humidité ambiante et non périssable, l’énergumène de 32 ans a prévu 32 bestioles sur tiges, autour de 32 objets récupérés dans une maison en ruine.

Enzo Mianes a aussi inscrit une partition musicale en filigrane, tissée en crin, sur une mécanique de tissage Jacquard classée monument historique à Challes. «Quelle chance de pouvoir utiliser de tels outils !», reconnaît le plasticien. La fréquence sonore de chaque objet a également déterminé la hauteur de leur cage métallique. «Le projet est complexe, mais la légèreté surgit à la fin, reprend-il, serein. Je suis engagé dans le désengagement. Il faut s’en ficher un peu, garder sa légèreté et son émerveillement.» Et même son âme d’enfant, celle qui lui fait porter régulièrement le gilet de son grand-père ou fondre 333 euros d’or pour les cacher dans un recoin des Beaux-Arts, un trésor intact depuis 2015. Il vient de passer encore un temps en résidence, à Clermont-Ferrand, à préparer un duo-show avec Michel Blazy, On Loop (jusqu’au 15 juillet 2021, à la galerie In extenso, à Clermont-Ferrand). «Une suite logique», conclut l’artiste sans frontières.

L’art et la matière

Depuis 2010, la Fondation d’entreprise Hermès invite des plasticiens à explorer les gestes et savoir-faire d’exception de la maison au sein de ses manufactures. Au programme : carte blanche, production inédite à partir de matériaux singuliers en interaction avec les artisans. Bref, un accueil sur mesure dans des ateliers exceptionnels pour un dialogue atypique. Près d’une trentaine d’artistes ont eu cette chance, et l’on peut retrouver ces panels dans la collection des Cahiers de Résidence, coéditée par Actes Sud et la Fondation d’entreprise Hermès. L’occasion aussi de découvrir les entretiens entre Gaël Charbau, commissaire du programme, Enzo Mianes et son parrain, Michel Blazy. Des expositions sur les œuvres des Résidences ont déjà eu lieu, et une rétrospective s’annonce en Asie et l’année prochaine à Paris.

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