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Dominique Besnehard dévoile les coulisses de l’agence qui a inspiré Dix pour cent
En publiant l’histoire de la légendaire agence d’acteurs dont il fut l’un des piliers, Dominique Besnehard, le producteur de Dix pour cent, nous dévoile les coulisses du cinéma français. Moteur !
Ce fut une légende parisienne, un vaisseau amiral, une institution pour tous les artistes qui voyaient les portes s’ouvrir à la simple évocation de ce sésame. Il fallait donc bien rendre hommage à une maison qui a compté dans ses rangs les plus grands talents du 7e art, de la littérature, les agents les plus audacieux, les décideurs les plus charismatiques et raconter l’épopée d’Artmedia, qui a régné sans partage sur le cinéma français pendant un demi-siècle. Fondée dans l’ivresse, l’exaltation et la fougue de la jeunesse, l’agence s’est lentement assoupie, victime de guerres de succession picrocholines qui ont eu raison de sa vitalité. Ce qui fera dire à son dernier patron, Bertrand de Labbey : «La fin, ce fut un peu comme la chute de l’Empire romain.»
Qui de mieux pour brosser cette aventure, faire revivre l’époque, en évoquer le style échevelé, baroque et picaresque que Dominique Besnehard, ancien casteur, agent mythique qui a passé vingt ans chez Artmedia avant de prendre le large pour devenir producteur. «J’avais déjà écrit mes Mémoires (1). J’avais produit la série Dix pour cent. Mon éditeur m’a alors demandé d’écrire l’histoire d’Artmedia (2), raconte-t-il. Mais moi, je n’écris pas, j’observe, j’emmagasine. Je suis un instinctif. Alors j’ai décidé de confier la tâche à la journaliste Nedjma Van Egmond que j’avais rencontrée à l’occasion d’un entretien.»
En vidéo, « Dix pour cent saison 4 », la bande-annonce
L’audace des débutants
D’abord les prémices. Il faut remonter aux années 1960. Quatre copains du Cours René-Simon se retrouvent un soir à La Coupole, leur quartier général parisien : Claude Berri, Michèle Méritz, Serge Rousseau et Gérard Lebovici. Ils font le point sur leur vie. Cette jeunesse impatiente piaffe devant une notoriété qui tarde à venir. «Je veux être le premier ou rien, lance un soir Lebovici à son professeur René Simon, et j’ai l’impression que ce n’est pas pour tout de suite.» Dans la 2 CV de Claude Berri qui les ramène ce soir-là chez eux, celui-ci lance à la cantonade – une idée que lui a soufflée son père, le fourreur Hirsch Langmann : «Et si nous montions notre agence !»
À 3 heures du matin, l’affaire était dans le sac et l’agence Lebovici portée sur les fonts baptismaux. Lebovici est ambitieux. Il ne lâche rien et a tous les toupets. Alors que René Clair, réalisateur et scénariste de renom, prépare, en 1961, son film Tout l’or du monde, il décide de le rencontrer pour imposer Françoise Dorléac au générique, la sœur de Catherine Deneuve et la petite amie de Jean-Pierre Cassel, le premier client de l’agence, à peine connu mais déjà très courtisé. Lebovici appelle à l’aide Costa-Gavras, tout jeune réalisateur de courts-métrages, pour essayer de convaincre René Clair. Il y parvient et déclare : « Je nous donne sept ans pour être les meilleurs du métier. »
Naissance des agents
Il a vu juste. L’agence devient un aspirateur de talents. Jean-Paul Belmondo, Catherine Deneuve, Romy Schneider, Philippe Noiret, Michel Piccoli…, tous choisissent de se faire représenter par Lebovici. Comment résister à tant d’aplomb, au charisme vénéneux de cet homme qui sentait le soufre, aimait cultiver le mystère par-dessus tout, cloisonnait sa vie, nourrissait des attirances contradictoires et des sincérités successives ? Il gère les carrières des plus grands tout en soutenant les films populaires ou ceux de la Nouvelle Vague et publie Guy Debord, Saint-Just, Marx et Mesrine dans sa maison d’édition, Champ libre. Une vie écartelée entre les paillettes et la contestation la plus radicale de la société. Il était à la fois docteur Jekyll et Mr. Hyde.
«“Lebo” était un génie, se souvient Besnehard. Il n’avait peur de rien et surtout pas de prendre des risques financiers.» Lors des fameux déjeuners dominicaux qu’organisait le couple Lazareff où se pressait le Tout-Paris, de Signoret à Montand en passant par Kessel, Sagan ou Druon, Lebo faisait son marché. C’est ainsi qu’il a racheté les deux agences en vue à l’époque, celle d’André Bernheim, qui représentait Jean Gabin et Jean-Claude Brialy, et l’agence Cimura, qui s’occupait de Jean-Paul Belmondo et de Jeanne Moreau. «Il a transformé les imprésarios en agents et les a fait entrer dans le jeu, rappelle Dominique Besnehard. Avant, il y avait des imprésarios qui étaient à la fois des nounous, des infirmières, des secrétaires, des confidents. Souvent, c’était des journalistes qui se mettaient au service des acteurs et les aidaient à rencontrer du monde. Tout cela était très artisanal. Olga Ortiz Primus était la maman de substitution de la petite Bardot, l’agent de son amie Michèle Morgan et de Luchino Visconti. Le journaliste de cinéma Georges Beaume avait lancé les carrières d’Alain Delon et de Romy Schneider. Avec Lebo, l’agent devient le cœur du système.»
En 1970, Lebovici veut changer son agence de nom. «Vous voulez célébrer l’art dans les médias. Pourquoi ne pas créer Artmedia», suggère la femme de l’écrivain Gérard Guégan. Banco. Le nom est trouvé en même temps que la devise de Lebovici, devenu entre-temps «le roi Lebo», digne de celle d’un officier de la Légion : «Que risquons-nous, sinon de mourir ?» «Avec un tel mantra, on va loin», commente aujourd’hui Besnehard tout en regardant les photos dédicacées de ses talents accrochés au mur de son appartement. «Lebo avait une vision. Pour lui, le cinéma, c’était simple : des artistes, des idées, des rencontres, des projets qui ont du sens et un chef d’orchestre qui met tout en musique. Il voulait tout contrôler : initier les projets de films, défendre les intérêts des acteurs mais aussi des scénaristes, des réalisateurs.»
Le pater familias
Le patron d’Artmedia innove en incitant les réalisateurs à devenir copropriétaires de leur film. C’est lui qui a conseillé à Jean-Paul Belmondo de créer sa propre société de production, tout comme il l’a fait avec Pierre Richard, Henri Verneuil, Claude Zidi ou Alain Corneau. À l’agence de les représenter. Lebovici savait aussi très bien s’entourer. Il engage Jean-Louis Livi, neveu d’Yves Montand comme administrateur, qui fait tourner la boutique, gère la comptabilité, fait le chauffeur, le coursier, jette un coup d’œil sur les scénarios, donne son avis. Il devient indispensable. On l’appelle «Monsieur Livi». Cet attelage n’avait rien d’évident. D’un côté, un dandy d’extrême gauche, froid et secret, qui se fera assassiner en 1984 dans un parking ; de l’autre, un Italien élégant en costume cravate, chaleureux et emphatique. « Il était le pater familias, ferme et doux à la fois », rapporte Nedjma Van Egmond.
Un âge d’or
Quand Gérard Lebovici quitte l’agence en 1982, Jean-Louis Livi le remplace. Il y restera pendant huit ans. Lebo avait construit les fondations, Livi fait d’Artmedia une force de frappe qui à elle seule travaille avec 80 % des acteurs français. «Un bourreau de travail, se souvient Besnehard. Il est entré comme simple comptable et il a dirigé l’agence.»
Avec Jean-Louis Livi, Dominique Besnehard accepte de rentrer comme agent. C’est l’âge d’or d’Artmedia. Il a 31 ans, un cheveu sur la langue, une carrière de casteur derrière lui, un enthousiasme décoiffant, un flair remarquable, une expérience d’acteur, une rondeur et une gentillesse qui font de lui la star la plus médiatique du milieu. On pense d’ailleurs que c’est lui le patron. Un jour, Guy Bedos lui dit : «Mais toi, tu es du bâtiment !» Réponse de Besnehard : «Cela voulait dire que je connaissais le métier, que j’aimais les acteurs, que je comprenais leur langage, leurs doutes, leurs inquiétudes, qu’ils savaient qu’ils pouvaient m’appeler à 3 heures du matin. Il faut être un peu médium quand vous êtes agent. Il faut pouvoir anticiper et voir ce que l’on peut demander à une comédienne. J’adore Marlène Jobert, mais quand je l’ai rencontrée mal attifée avec ses nattes et ses taches de rousseur… Il fallait avoir de l’imagination.»
Quand Livi décide de quitter Artmedia en 1989, il vend ses parts à Bertrand de Labbey, qui pilotera l’agence jusqu’en 2016. «J’ai passé quinze ans avec lui. C’est un grand manager, très racé, élégant, d’une famille de hobereaux. Il a rajeuni la troupe des agents et par-là celle des talents, et n’a pas hésité à parier sur de nouvelles têtes. C’est grâce à lui que Jamel Debbouze co-obtient le Prix d’interprétation masculine à Cannes en 2006 pour Indigènes. Il lâchera en pleine cérémonie : « Je remercie Bertrand de Labbey, qui m’a fait passer du Smic à l’ISF.»
L’heure du déclin
Mais, de Labbey n’a pas vu assez vite que la profession évoluait et qu’une jeune génération d’agents voulait prendre son indépendance. «Il n’a pas préparé sa succession ou a mis trop de temps à désigner son successeur, raconte Besnehard. Il pensait sans doute que j’allais me proposer, mais je n’ai ni le goût du pouvoir ni de l’argent.»
Peu à peu, les agents quittent le navire. Cécile Felsenberg et Céline Kamina créent leur société, et entraînent avec elles des stars quadragénaires et populaires, dont Kad Merad. En 2015, Élisabeth Tanner part avec son écurie, dont Sophie Marceau. Claire Blondel rachète les parts de Bertrand de Labbey et prend la tête de l’agence.
Un producteur à succès
«Le début de la fin ? On peut l’attribuer au départ de Dominique en 2006, confirme Nedjma Van Egmond. C’est lui qui était le plus médiatique, qui courait festivals et tournages. Avec lui, l’agence perdait une grande partie de sa stabilité et l’écosystème qu’il avait engendré, de sa vitalité.» Aucune nostalgie chez Besnehard d’avoir changé de casquette. «Je n’avais plus envie, j’étais fatigué. C’était l’époque où je regardais Desperate Housewives. Je voulais avoir mes projets. Je suis devenu producteur et j’ai produit Dix pour cent, l’histoire d’Artmedia. Un succès incroyable. Vous savez que les Anglais vont en faire une comédie musicale ? Mon prochain projet est inspiré de la vie du Crazy Horse. On ne quitte pas facilement l’avenue George-V !»
(1) Casino d’hiver, aux Éditions Plon.
(2) Artmedia, une histoire du cinéma français, de Dominique Besnehard et Nedjma Van Egmond, à paraître le 7 avril aux Éditions de l’Observatoire, 390 pages, 20 €.
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