Côté cours – Le diadème de tous les excès mis aux enchères par Sotherby's

Le 11 mai prochain, Sotheby’s mettra aux enchères un diadème ayant appartenu à une collection royale européenne, celle de la Maison de Savoie-Aoste. Chaque semaine, Stéphane Bern décrypte l’actualité royale avec un nouveau rendez-vous: Côté Cours.

À en juger par la cote des souvenirs historiques qui s’arrachent dans les ventes aux enchères, et particulièrement ceux qui concernent Napoléon et Marie-Antoinette, les fastes royaux continuent de faire rêver le monde entier. Au risque d’ailleurs que les trésors de la vieille Europe ne quittent le continent pour remplir les coffres des émirs et parer les élégantes d’Asie. Chaque année, traditionnellement en mai et novembre, les grandes maisons de ventes Christie’s et Sotheby’s se disputent le marché par leurs ventes de bijoux, recherchant toujours la perle rare à disperser, en l’occurrence un joyau historique. Bingo ! Le directeur de la vente de haute joaillerie de Sotheby’s à Genève, Benoît Repellin, ne cache pas son enthousiasme à proposer aux amateurs, le 11 mai prochain, un diadème ayant appartenu à une collection royale européenne, celle de la Maison de Savoie-Aoste, branche cadette de la famille royale d’Italie qui a régné de manière éphémère sur l’Espagne. « Cette vente intervient à un moment opportun puisque la demande mondiale pour les bijoux royaux est plus forte que jamais : Les diadèmes ont toujours fait partie des plus grandes collections de bijoux et, au cours de la décennie passée, leur popularité a atteint des niveaux sans précédent. Ils sont désormais convoités à travers le monde, pour la qualité de leur réalisation, la richesse de leurs matériaux mais aussi pour leur charge historique et affective » note l’expert. Il est vrai que ces dernières années, les diadèmes Bourbon-Parme ou Henckel de Donnersmarck ont atteint des prix records, d’autant que les maisons de la place Vendôme – le joaillier des reines Mellerio dits Meller et le joaillier des impératrices Chaumet, la plus spécialisée dans les diadèmes – tentent de racheter les joyaux en déshérence pour leurs collections.

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Ce diadème est l’un des plus extraordinaires proposé pour la première fois sur le marché

Autant dire que le clou de cette vente du 11 mai à Genève est ce diadème composé de motifs de volutes graduées sertis de diamants taille coussin, taille circulaire et simple, encadrant onze perles naturelles en forme de goutte légèrement baroques. Il est conçu comme une succession de onze motifs de volutes graduées, chacun composé d’une perle naturelle entourée de diamants taille ancienne. Ce qui rend cette tiare encore plus estimable, c’est qu’elle est transformable car les motifs de volutes sont détachables et peuvent être adaptés et portés en collier, comme ce fut le cas pour la fille du dernier roi Umberto II d’Italie, la princesse Marie-Gabrielle de Savoie. Ce diadème est l’un des plus extraordinaires proposé pour la première fois sur le marché. Imprégné de la riche histoire de la Maison de Savoie, il a une provenance exceptionnelle. Il a été offert à Maria Vittoria dal Pozzo en 1867 comme cadeau de noces à l’occasion de son mariage avec le prince Amedeo de Savoie, duc d’Aoste, plus tard élu roi d’Espagne comme Amadeo I (1870-1873). Restée dans la famille pendant plus de 150 ans, la tiare avait été créée par Musy Padre e Figli – bijoutier officiel de la cour de Turin depuis 1765, et l’un des plus anciens orfèvres d’Europe.

Rappelons pour les amateurs de généalogies royales que Maria Vittoria est née à Paris, le 9 août 1847. Ses parents, Carlo Emanuele, comte dal Pozzo et prince della Cisterna, et Louise Caroline, comtesse de Merode-Westerloo, se sont mariés à Bruxelles le 28 septembre 1846, le même jour où Antoinette, soeur de Louise Caroline, épousait le prince Charles III de Monaco, fondateur de Monte-Carlo. Les deux sœurs avaient reçu une dot plus que substantielle, ce qui en faisait des choix très appréciés. Le jour de l’Ascension, le 30 mai 1867, Maria Vittoria, âgée de 19 ans, épousa donc le prince Amedeo de Savoie (1845-1890), duc d’Aoste, le plus jeune fils du roi Victor-Emanuel II d’Italie, le fondateur de l’Italie unifiée et de l’archiduchesse Adélaïde d’Autriche. Le souverain aurait préféré une épouse plus prestigieuse pour son fils mais y consentit finalement, d’autant que le roi éprouva rapidement de l’admiration pour sa belle-fille. Comme le raconte Christophe Vachaudez, spécialiste des joyaux de cours, « Maria Vittoria avait amassé une précieuse collection de perles qui pourrait rivaliser avec celle de sa belle-sœur Margherita, princesse de Savoie-Gênes qui recevra plus tard le surnom de reine des perles ». Des bijoux dignes d’une reine. Bientôt Amedeo et Maria Vittoria allaient se lancer dans une aventure incroyable : en raison des troubles politiques en Espagne, et de la Révolution de 1868 qui renversa Isabelle II, les Cortès proposèrent que le prince monte sur le trône des Bourbons en 1870. Amedeo releva le défi, mais abdiqua en 1873, après seulement trois ans car il n’a pas été en mesure de résoudre la crise politique du pays. Le couple est retourné en Italie, où Maria Vittoria, qui avait été une reine consort éphémère d’Espagne, est décédée à l’âge de 29 ans, le 8 novembre 1876, à Sanremo.

Qu’est devenu son fabuleux écrin de bijoux ? Il semblerait que les trois fils de la princesse, le prince Emanuele Filiberto, futur duc d’Aoste (1869-1931), le prince Vittorio Emanuele (1870-1946), comte de Turin, et le prince Luigi Amedeo (1873-1933), duc des Abruzzes, aient hérité de sa collection, et, tout naturellement, le diadème aurait dû coiffer le chef de la princesse Hélène de France, épouse du premier fils et 2ème duc d’Aoste, or il n’en a rien été, ni chez leurs descendants. Par conséquent, les historiens supposent qu’il ait échu à l’un de ses deux autres fils, soit le comte de Turin, soit le duc des Abruzzes, tous deux morts sans descendance. On suppose qu’ensuite le chef de la Maison de Savoie, le roi Umberto II d’Italie a acheté le joyau à l’un de ses cousins pour empêcher que cette pièce historique quitte la collection familiale. Ce qui expliquerait pourquoi sa fille, la princesse Marie-Gabrielle de Savoie, a porté en collier ce diadème aux onze perles naturelles. Estimé entre 1 et 1,5 million de dollars, il pourrait en faire le double ou le triple et rejoindre une collection privée, comme celle, exceptionnelle, qu’a constituée au Qatar la Sheikha Mozah. A moins qu’un grand musée ne se positionne, comme le Smithonian de Washington ou le palais royal de Turin, mais la crise sanitaire et économique a douché tous les espoirs et il est à craindre que cette pièce historique exceptionnelle ne soit plus jamais vue par le public.

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