Correspondants, conseillers… qui gère vraiment la communication de la famille royale britannique ?

« Never complain, never explain« . Tel est l’adage, la devise même, de la famille royale britannique qui se refuse à commenter ou justifier les esclandres qui l’éclaboussent. Face au tampon-gate du roi Charles III comme à la publication des mémoires explosives de son fils le prince Harry, le silence et l’indifférence prévalent.

Cette règle, explique Philippe Chassaigne, professeur d’histoire contemporaine à l’université Montaigne de Bordeaux, « date de la fin du règne de Victoria » (fin 1800). Mais, situe le spécialiste de la Grande-Bretagne et de sa monarchie, « c’est surtout sous celui de son fils Edward VII que cette espèce de politique sans commentaires est mise en place de la part de la Couronne ».

Or, selon le prince Harry, si la famille royale fait mine de ne pas se soucier des publications à son sujet, dans les faits, elle les scrute avec intérêt. « Tout le monde dans ma famille prétendait les ignorer [les journaux, ndlr], comme Papa, mais au moment même où ils étaient en train de vous expliquer les yeux dans les yeux qu’ils y étaient complètement indifférents, des domestiques en livrée s’affairaient autour d’eux pour leur apporter tous les titres de la presse britannique sur des plateaux en argent », écrit-il dans ses Mémoires publiés le 8 janvier 2023.

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Le rôle des confidents privilégiés de la Couronne britannique

Quotidiennement, les tabloïds du Royaume-Uni noircissent des pages sur les réactions intimes de membres de la famille royale, citant des sources internes anonymes ou bien des personnes ayant leur accès privilégié. Ces informations ne seraient pas toujours des indiscrétions du personnel observateur ou à l’oreille qui traîne, mais bien une communication détournée de La Firme. « Il y a des services de presse de Buckingham Palace qui transmettent les éléments d’information que ‘Le Palais’, c’est à dire la famille royale et ses courtisans, jugent pertinents. »

Puis, il y a les experts venus de l’extérieur. Les correspondants royaux, des journalistes qui suivent les activités de la famille royale quotidiennement : « Longtemps, ils ont constitué une sorte d’élite de la profession parce qu’ils développaient un lien particulier avec l’entourage de la monarchie. » Utilisés comme des « relais », décrit Philippe Chassaigne, « les correspondants royaux sont aussi à l’origine de quelques-unes des biographies et ouvrages sur la Couronne, qui permettent de faire passer un certain nombre d’informations sous couvert d’anonymat, des éléments que la famille royale ne peut évidemment pas divulguer elle-même ».

Certains sont appréciés du Palais, d’autres moins. Par exemple, se souvient l’expert, « Diana Spencer en avait plusieurs dans le collimateur, car elle trouvait qu’ils n’étaient pas toujours réceptifs à ses arguments ».Et pour cause, la princesse des coeurs a été la cible favorite des tabloïds, traquée pour ses moindres mots de travers par une presse obnubilée par son mariage désastreux avec l’ancien prince de Galles.

La presse et la famille royale : un échange de bons procédés

Dans ses mémoires, le prince Harry défend justement sa mère bec et ongle, en opposition à la presse qu’il juge coupable de sa mort et de sa détresse au sein de la famille royale. Il reproche également aux organes internes du Palais de ne pas avoir défendu sa défunte mère, tout comme son épouse Meghan Markle des décennies plus tard. Loin du fameux « never complain, never explain » qui semblerait ne s’appliquer que pour certains membres de sa famille selon lui, il écrit qu’à travers ses bureaux officiels et les correspondants, la Couronne essayait de contrôler un minimum ce qui sortait ou non dans les médias.

Plusieurs fois, l’auteur exilé aux États-Unis assure même que le Palais aurait laissé paraître des informations erronées dans le but de protéger l’image de certains membres de la famille royale au détriment d’autres. Harry, dit-il, en aurait lui même fait les frais lorsque le « bureau de papa » [du roi Charles III, ndlr] aurait confirmé la rumeur selon laquelle le jeune prince alors adolescent était allé en cure de désintoxication pour endosser l’image d’un père de famille esseulé et fragilisé après la mort de Lady Di. 

Par ailleurs, le prince Harry assure que lui et William ont soupçonné plus d’une fois leur belle-mère Camilla de faire fuiter de fausses informations dans la presse pour son propre dessein. Que ce soit par le biais de correspondants ou conseillers royaux qu’elle aurait convaincu le roi Charles d’embaucher ou bien lors de sa collaboration avec l’éditeur Geordie Greig.

Toujours dans son ouvrage, le prince Harry se souvient de l’enjeu autour de l’image du couple mal-aimé, alors futurs roi et reine consort : « L’attaché de presse de Papa s’en était pris à l’équipe de Willy un jour où il avait été prévu que Kate visite un club de tennis alors que Papa avait lui aussi quelque chose. (…) L’attaché de presse les avais prévenus : ‘Assurez-vous juste que Kate ne tienne pas de raquette de tennis sur la moindre photo !’ Car une image si accrocheuse aurait sans nul doute effacé Papa et Camilla de la une des journaux. Et c’était intolérable. »

La réputation du Palais avant tout

« L’alpha et l’omega du Suppléant et de se poser en victime », tempère Philipe Chassaigne, « ce n’est donc pas étonnant qu’il avance tout cela ». Le problème dans les mémoires du prince Harry, estime-t-il, « c’est qu’il y a tout un mélange entre le souvenir et l’Histoire ».

L’expert pointe du doigt le fait que « plusieurs journalistes ont souligné des incohérences ou des inexactitudes très ponctuelles de son récit ». Comme toujours, selon lui « chaque camp a pour objectif de construire sa vérité ». Ainsi lorsqu’il y avait eu « la guerre des Galles » [affrontements médiatiques entre Charles et Diana, ndlr], « celle-ci s’était produite par médias interposés », rappelle l’historien. Au sein des journaux, certains journalistes avaient même pris le parti de la princesse, et d’autres du futur roi.

Le palais de Buckingham n’est pas une institution au-dessus de la famille royale.

Convoqué par sa grand-mère et son père pour avoir intenté un procès en diffamation au tabloïd Mail on Sunday le prince Harry se serait vu répondre cet aveu d’un conseiller de la reine Elizabeth II : « Les relations avec la presse sont nécessaires. » Ces experts en communication, le jeune suppléant les a en horreur, à en croire ses Mémoires, se sentant empêché de s’exprimer à cause d’eux.

Dans Spare, le prince Harry regrette que les conseillers de communication de Buckingham ne laissent que peu de marge de manoeuvre aux membres de la monarchie pour s’exprimer librement et démentir, ou non, des rumeurs qui les concernent, faisant les décisions de communication officielles. « Le palais de Buckingham n’est pas une institution au-dessus de la famille royale, mais c’est vrai que ces courtisans sont là depuis longtemps et maîtrisent un certain nombre d’arcanes. Ils sont au contact de nombreuses situations inaccessibles à la famille royale au quotidien, et sont au contact des médias. Ils constituent un monde un peu différent, c’est leur statut de sas, d’interface entre la monarchie et le public, qui leur donne cette autorité », analyse le spécialiste. 

Par exemple, note l’historien, « en 1997, Charles trouvait que l’attitude toute réservée, voire rigide, du Palais l’égard de la mort de Diana n’était pas en phase avec les attentes de l’opinion public, pourtant il s’est entendu répondre ‘On ne fait pas les choses comme cela ici' ».

Au final, compare Philippe Chassaigne, « c’est un peu comme en France, dans les ministères il y a des ministres et puis l’administration. Un ministre ne fait pas toujours ce qu’il veut dans son propre ministère ».

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Comment la famille royale s’est ouverte aux médias

Lorsque la reine a envoyé son premier mail en 1977, avant même qu’internet ne devienne incontournable, dit-il, « bien évidemment que c’était une idée des conseillers de vouloir mettre en place un site internet officiel pour présenter la monarchie et lui donner plus de visibilité et de compréhension, non pas une volonté d’Elizabeth II ».

Ainsi, La Firme a du s’adapter. Pendant des années, la Circulaire de la Cour, détaillant les obligations royales de chacun des membres était publiée chaque membre de la Couronne, était publiée dans le Times. Désormais le site internet et les réseaux sociaux s’en font les relais.

Auparavant toutes les demandes des médias trouvaient une fin de non-recevoir.

C’est depuis les années 60, observe le spécialiste, queles conseillers en relations publiques de la reine ont compris que ce n’était plus possible de traiter la presse comme la peste, tandis qu’elle se diversifiait sur tous les supports de l’époque.Philippe Chassaigne rappelle donc le changement de politique de communication opéré par le Palais à cette époque : « Auparavant toutes les demandes des médias trouvaient une fin de non-recevoir, mais en 1969, le documentaire Royal Family présentait pour la première fois la vie des membres de la famille royale à la fois sur le plan officiel et privé durant une année. »

Celui-ci a ensuite disparu de la circulation, avant de réapparaître sur internet des décennies plus tard, mais il illustre le virage entrepris par la Couronne pour moderniser son image. « Le lieu du mariage de Diana Spencer et de Charles a par exemple été choisi pour sa hauteur sous plafond capable d’accueillir les caméras », souligne l’historien. Néanmoins, estime Philippe Chassaigne, « cette nouvelle dynamique de communication n’est pas forcément reconnue officiellement par la famille royale ».

Les enfants de Lady Diana protégés par un pacte ?

Par le passé, le Palais a passé différents arrangements avec les médias, notamment après la mort tragique de Diana Spencer, dans laquelle la presse avait une certaine responsabilité : « À la mort de Lady Diana, une sorte de pacte a été conclu de façon non-officielle, selon lequel les tabloïds allaient laisser ses enfants tranquilles et ce, jusqu’à leur 18e anniversaire. Une fois cet âge passé, ils n’étaient plus liés par cet engagement. Cela explique pourquoi, à un moment, William et Harry ont été un peu à l’écart de l’attention des médias, qui se sont tenus loins matériellement. Le plus souvent, ils n’apparaissaient qu’aux côtés de Charles, présenté comme un père célibataire s’occupant de ses enfants lors de ballades dans les jardins de Balmoral. »

Or, dans ses mémoires, le prince Harry cite, et se moque, de plusieurs articles parus lorsqu’il n’était encore qu’adolescent. Selon lui, le pacte sacré n’a pas du tout été tenu. « Globalement, il a été respecté », assure pourtant le spécialiste de la royauté. 

Selon Philippe Chassaigne, au final, « ce que Harry dit est de bonne guerre pour illustrer l’argumentaire contre la presse qu’il développe tout au long de son livre, mais comme l’avait d’ailleurs commenté la reine au moment du Megxit : ‘Ses souvenir peuvent différer’. »

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