Cédric Klapisch : "La danse reflète le côté à la fois grandiose et dérisoire de l’être humain"

Sa passion pour la danse, le réalisateur l’a d’abord partagée durant le premier confinement avec un clip au succès phénoménal. Il prolonge le plaisir avec En corps, son prochain film, et le portfolio qu’il signe dans nos pages.

Son magnifique clip viral montrant les danseurs de l’Opéra de Paris répétant chez eux a créé l’événement durant le premier confinement. Fou de danse, Cédric Klapisch, son initiateur, était le seul à pouvoir mener à bien ce défi : photographier les étoiles de la danse, classique ou contemporaine, dont certaines ont participé à son prochain film, En corps. Pour lui, tous ont improvisé un ballet éphémère sur la playlist d’un iPod. Il en garde un souvenir éblouissant.

Madame Figaro. – Comment expliquez-vous l’engouement actuel pour la danse et le succès extraordinaire de la vidéo que vous avez réalisée avec les danseurs de l’Opéra de Paris durant le premier confinement ?
Cédric Kaplisch.
– J’ai été très surpris par l’impact de cette vidéo. Au moment où les danseurs ne pouvaient plus danser, que les théâtres étaient fermés, ce petit film de quatre minutes, où on les voyait répéter chez eux, a fait le tour du monde en une semaine. Nous avons reçu des milliers de lettres, dont certaines bouleversantes du personnel de santé, à qui il est dédié, nous disant : «Je suis de garde toute la nuit, et votre vidéo nous donne le courage de continuer.» Ce film n’avait rien de compliqué dans ses propos, il montrait la vie. La danse reflète le côté à la fois grandiose et dérisoire de l’être humain.

En vidéo, « Châtelet sur le toit », le making-of

Comment est né votre amour pour la danse ?
J’ai eu un abonnement au Théâtre de la Ville pour mes 15 ans. Mon père était physicien, ma mère, psychanalyste : il y avait une émulation culturelle à la maison qui faisait qu’on allait vers l’art. Plus tard, je suis devenu ami de Philippe Decouflé, qui habitait dans mon immeuble et m’a ouvert les portes de ce milieu. Il y a une magie et un mystère dans la danse qui fait que c’est l’un des spectacles les plus puissants qui soient, plus fort même que le cinéma, pour moi. C’est la raison pour laquelle j’ai filmé une danseuse dans L’Auberge espagnole, Evguenia Obraztsova, aujourd’hui étoile du Bolchoï, que j’ai fait un documentaire sur Aurélie Dupont (Aurélie Dupont, l’espace d’un instant, NDLR), des captations de spectacles, dont ceux avec le chorégraphe Hofesh Shechter, qui signe aussi une partie des chorégraphies de mon nouveau film.

Que raconte En corps et comment avez-vous fait jouer des acteurs comme Denis Podalydès et Pio Marmaï avec des danseurs ?
J’aime les histoires simples, les métaphores. Chacun cherche son chat, que j’ai fait il y a vingt ans, parlait d’une fille qui cherchait son chat et le retrouvait à la fin du film. L’histoire d’En corps est tout aussi minuscule : une danseuse se blesse et a droit à une nouvelle chance. C’est la psychologie des personnages qui m’intéresse : celle du père de la danseuse, joué par Denis Podalydès, par exemple. C’est un avocat qui ne comprend pas vraiment pourquoi sa fille fait de la danse. C’est très facile de dire qu’un ballet ne sert à rien, mais, quand on y prend goût, on ne peut plus s’en passer.

J’ai été émerveillé par la façon de jouer de ces danseurs. Chez eux, la notion de travail est primordiale, beaucoup plus que chez les acteurs. Sur le tournage, c’était très visible. Et puis ils savent aller au fond d’un personnage, l’interpréter. Les acteurs étaient impressionnés par leurs performances et ont adoré jouer avec eux. Celle qui nous a le plus troublés, c’est Marion Barbeau, qui tient le rôle principal. Face à la caméra, elle devient hypersensuelle, poétique et émouvante. C’est une révélation totale.




Qu’avez-vous éprouvé en prenant en photo ces vingt-trois danseurs et chorégraphes au Théâtre du Châtelet ?
C’était évidemment très fort, d’autant plus que j’y ai tourné des scènes du film avec certains d’entre eux. Tout s’entrechoquait : la danse, le cinéma, le sens même de nos métiers. J’ai cherché un cadrage, un décor pour restituer leur personnalité et ce qui s’est passé entre nous. Les idées sont nées dans l’instant, avec ces danseurs : j’ai aimé voir Robinson Cassarino enjamber les fauteuils du théâtre, Germain Louvet s’envoler sur le toit avec BadGyal Cassie, et aussi les chorégraphes comme Marion Motin, Léo Walk et Mehdi Kerkouche danser avec leur reflet dans les miroirs du Châtelet. Ces photos ont été géniales à prendre parce qu’à chaque fois je cherchais une magie, et ils me l’offraient. Parce que c’est ça qu’on cherche, on cherche de la magie.

Châtelet sur le toit, saison 2

Pour la deuxième année consécutive, le projet «Châtelet sur le toit» met en scène des artistes en lien avec la programmation du théâtre et diffuse leurs prestations artistiques sur YouTube. Le toit du Châtelet devient le théâtre d’un moment suspendu dans le temps. Les artistes investissent l’espace pour y produire de manière inédite un texte, une chorégraphie, une chanson. Pour cette deuxième saison, c’est Marion Barbeau qui ouvre la danse avec sa vidéo. Suivra une nouvelle publication chaque mardi à 18 heures.

Quels ont été les moments les plus forts de ce shooting ?
Tous. J’étais ému, je voulais arriver à capturer leur puissance, leurs particularités, car ces danseurs sont issus de mondes différents. Mais les frontières dans la danse ont explosé : il y a de plus en plus de passerelles entre le classique, le contemporain, le breakdance, l’afro, entre le patrimoine du passé et le langage urbain, et c’est ça qui m’a aidé. Ces danseurs sont le miroir d’une harmonie et ils l’ont montré dans ce shooting. Ils ne sont pas dans le narcissisme, ils sont dans la quête de partage. La danse, le théâtre, le spectacle vivant ont cette notion d’échange essentielle. L’expérience collective nous manque, car ce n’est pas un passe-temps : elle est nécessaire. Je vais filmer en Grèce l’année prochaine et j’ai visité des endroits comme Épidaure et d’autres théâtres antiques. Pourquoi ont-ils été construits ? Pourquoi Sophocle, Eschyle et Euripide ont-ils créé la tragédie grecque ? Parce que c’est humain et indispensable. Parce qu’on doit fabriquer du faux. Parce que ce faux-là est nécessaire pour comprendre le vrai de la vie.

En corps, avec Marion Barbeau, Denis Podalydès, Pio Marmaï, François Civil. Sortie prochainement.

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