Caroline Estremo : "On vient aux urgences comme au drive du McDo"

Après avoir cartonné sur internet avec des sketchs sur son métier, cette infirmière aux urgences de Toulouse s’est lancé dans le one woman show. Infirmière sa mère ! est en tournée à partir de la mi-juin.

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Comment êtes-vous venue au spectacle, en étant infirmière ?

Caroline Estremo : C’est arrivé en 2016. Tout à coup, j’ai eu envie d’écrire un sketch. J’ai fait une vidéo sur Facebook, principalement pour faire rire les collègues. Je me suis dit que je pouvais parler de ce que nous vivons au quotidien, mais avec humour. La vidéo a fait le buzz. Une infirmière qui avait ouvert une salle en banlieue parisienne voulait faire un spectacle autour de notre métier. Elle est tombée dessus et m’a demandé d’écrire un show entier. Je me suis lancée, avec mes mots. J’ai simplement raconté ma vie et j’ai essayé d’y mettre de l’humour et du cœur.

Les urgences sont une matière a priori pas très drôle. Comment avez-vous extrait le comique de ce quotidien ?

C. E. C’est une thérapie, un exutoire nécessaire. Tous les soignants le font d’une manière ou d’une autre. Dans la salle de pause, on relâche la pression et on se raconte avec humour tout ce qui nous arrive, ce que les patients nous ont fait subir. On est obligés, parce que dans ce métier, il y a des choses difficiles à vivre – la souffrance, la mort. On doit dédramatiser et plaisanter, sinon on péterait un plomb !

Le Covid est-il présent dans vos sketchs ?

C. E. Pas beaucoup. On a tous galéré et je ne suis pas sûre que les gens aient envie qu’on ressasse la chose. J’y fais allusion rapidement. Et quand les salles rouvriront, le but sera de se retrouver, pas de parler encore de cette maladie ! Dans le spectacle, je raconte ma vie, tout simplement. Comment j’ai arrêté la fac de droit pour devenir infirmière parce que j’avais envie d’aider les gens. Je suis arrivée dans cette institution pleine de rêves et d’illusions et je me suis pris la claque de ma vie. Ce n’était pas du tout ce que j’imaginais. On n’est pas dans Urgences. C’est mon aventure au contact du réel que j’évoque : des anecdotes avec les patients virulents, les originaux, toute la gamme. J’ai besoin d’une matière réelle pour exprimer une vraie émotion. Les gens croient que je déconne. Non je ne déconne pas.

Votre livre, Infirmière, décrit les urgences comme un supermarché où l’on vient consommer du soin. On en est vraiment là ?

C. E. C’est malheureusement vrai. Enfin, depuis le Covid, on a des urgences qui ressemblent à de vraies urgences. Ceux qui venaient pour tout et n’importe quoi restent chez eux. Seuls les vrais cas graves nous arrivent et on n’est plus saturés par toute la bobologie qui nous prenait un temps fou, avec des patients souvent agressifs qui ne comprenaient pas pourquoi ils ne passaient pas avant un accident de voiture. C’est le reflet de la société : on vient aux urgences comme on va au drive du McDo. Je débarque, je veux mon médicament, je pars.

Les soignants ont été héroïsés au début de la crise du Covid puis un peu oubliés. Comment l’avez-vous vécu ?

C. E. C’est très agréable de se faire applaudir et on ressent une vraie fierté. Une fois, les policiers se sont mis en ligne devant l’hôpital et ont mis tous leurs gyrophares en applaudissant, on avait les larmes aux yeux. Puis ça s’est arrêté. Il ne faut pas non plus se dire qu’on a fait ce métier pour la reconnaissance. Après, on nous a donné une prime alors qu’on demande une vraie revalorisation. On a eu l’impression qu’on nous donnait une sucette pour nous calmer.

Écrire des sketchs est-il une façon de militer pour vous ?

C. E. Oui, pour un meilleur système de soins, pour le bien-être des patients. Quand on fait ce métier, on sait à quoi s’attendre mais ce qui est terrible, c’est de ne pas avoir assez de temps. De piquer des bras à la chaîne. On milite pour avoir les moyens de soigner au mieux. Après, il faut aussi nous donner les moyens de nous protéger, parce qu’à force de donner, on finit en burn-out. La fatigue vient s’ajouter, bien sûr, mais la première souffrance du soignant, c’est de se dire qu’il fait mal son métier.

Souvent les gens ne comprennent pas l’humour médical…

C. E. L’humour noir est une protection. Une grande partie de mon public, ce sont des soignants. Après le spectacle, je reste pour discuter avec ceux qui le souhaitent et les retours sont toujours positifs. Sur les réseaux sociaux, j’ai de super soutiens. « Continue, tu nous fais du bien », « Avant de partir au boulot, je regarde tes vidéos, ça me donne la pêche » ou, à l’inverse, « J’ai passé une journée de merde, ta vidéo m’a fait du bien ».

Avec le Covid, l’opinion a quand même pris la mesure des difficultés de votre profession ?

C. E. Certains, sûrement. Les autres disent qu’on fait juste notre taf. Ce qui n’est pas faux. On n’a pas été pris en traître. Je sais que quand les infirmières viennent au spectacle avec leur chéri, ils me disent qu’ils ne croyaient pas ce qu’elles leur racontaient. Avec mon spectacle, ils comprennent qu’on fait vraiment un métier de dingue. C’est cool de marquer les esprits… et d’en rire avec eux.

Réservations : https://www.carolineestremoofficiel.com

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