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BONNES FEUILLES – Jacques Weber : « Mes amis, mes émois… »
Le comédien partage dans son livre des instants de vie savoureux ou émouvants. Comme son face-face avec la redoutable Simone Signoret, son trouble devant la princesse Grâce de Monaco, ou ce tournage d’En Thérapie durant lequel il a perdu son frère adoré. Extraits exclusifs.
« Comme dit la chanson de Chedid, lance Jacques Weber : « On ne dit jamais assez aux gens qu’on aime, par peur de les gêner, qu’on les aime. » » Le comédien dévoile les coulisses de ses cinquante ans de carrière et esquisse le tableau d’une époque et d’une génération. Extraits.
La leçon de Simone Signoret (NDLR : Titres ajoutés par le rédaction)
Nous tournons dans le Rouergue, région de pâturages et de forêts, de bonnes tables et de pauvreté. Lorsque Simone Signoret ne tourne pas, elle nous écoute et nous regarde, attendant un partenaire pour le Scrabble. Simone est sans doute la seule femme de France à qui l’armée a prêté un téléphone de campagne pour pouvoir parler à son amoureux tous les jours. — Allô, Montand… Son regard s’embrume. Le bal de campagne est lancé. (…) Simone m’accueille et nous dansons, son regard me transperce ; je ne suis plus qu’un glaçon qui cherche un triple whisky ! — Coupez ! C’était très bien, nous la refaisons… (…) Simone m’observe, je baisse la tête. — Dis donc, n’oublie pas que tu joues un boucher, ce n’est pas Louis Jourdan ! La sentence est tombée comme du billot la tête d’un condamné. Louis Jourdan, vedette internationale, était voué aux rôles de bellâtre frenchy dans les productions hollywoodiennes. Signoret me blesse mais vise juste. (…)
La numéro permanent d’Yves Montand
C’est une grande amoureuse pleine de terreurs enfantines. Catherine, sa fille, et son mari Maurice sont nos amis ; ils nous invitent le soir du jour de l’An à Auteuil, résidence mythique du couple Signoret Montand. Ma femme et moi sommes touchés mais intimidés. La maison est longue, belle et blanche ; dans la nuit hivernale se devine un vaste parc, une terrasse, une piscine, tout semble ordonné, quiétude et simplicité. Nous entrons par la cuisine, une longue table est dressée, Simone brode devant une bière sans alcool. Je compte les couverts : nous serons les seuls invités. Quelques mots s’échangent, réservés d’un côté, traqueurs de l’autre. Montand fait son entrée, sent le malaise et tout naturellement fait le rigolo. Simone veut parler de son livre La nostalgie n’est plus ce qu’elle était, Montand de son retour imminent sur scène. — Mais Simone, tu ne vas pas nous rabâcher tes vieux souvenirs ! Elle lève le regard tout comme au cinéma, sans un mot, hautaine et triste. Montand veut nous démontrer pourquoi il lèvera moins haut la jambe que d’habitude. — Trop haut. Tu comprends, Jacques, à nos âges il ne faut pas jouer les jeunes. Je n’ai pas rêvé, il s’adresse à moi ; j’ai trente ans et lui bientôt soixante ! Simone, cette fois, n’adresse même pas un demi-regard. — Montand, tu ne vas pas nous faire tout ton show !
François Florent le maître, sauveur
En 2013, je jouais au Théâtre Montparnasse, la mise en scène était totalement ratée. Malheureux, je buvais beaucoup, je savais que j’étais mauvais… François vint. Il m’attendait appuyé sur sa canne sans rien perdre de sa superbe, la tête haute, visiblement affecté. J’allais vers lui, sachant déjà… — Jacques, je ne te dis rien ce soir, je t’écris. Cette lettre fut attendue, désirée, redoutée. Elle changea, je le crois, résolument la perception de mon métier ; elle préludait au troisième temps de mon existence, j’avais soixante-trois ans. Jacques, c’est un mauvais travail… Je te préférais cabot, excessif, maladroit comme tu l’étais à tes débuts… tu as la diction et l’esprit pâteux… l’alcool réussit à certains, du moins le croient-ils, mais pas à toi… tu dois te reprendre, tu n’es pas digne des premiers rôles dont tu as la responsabilité… Il avait raison, ce fut une douche, un électrochoc pour éléphant. Je suis parti en désintoxication, plus jamais je n’ai bu avant d’entrer en scène. Florent, jusqu’à ses derniers jours, m’accompagna.
Francis Huster, les deux font la paire
Francis n’aime pas le café, les cafés, il préfère les théâtres, le coca et les glaces chantilly. Alors nous nous voyons peu, mais nous nous aimons très fort. (…) Il joue, pérore, écrit, met en scène, déménage à tout va, ses projets changent plus vite que le caméléon, un cerveau mille-pattes qui ne dort ni ne dîne (…) chronique savamment le sport, la politique, distribue des conseils sur la vie, l’art, « tutti quanti et confetti », conchie des spectacles qu’il ne voit pas, a toujours raison, mais il a ses raisons que la raison n’a pas. Si gentil, si généreux, si cruel, si mesquin. (…)Bien vite, nous nous retrouvions au Conservatoire. (…)La semaine des concours arriva.(…) Je suis prêt pour le combat. « Tu verras, m’avait-il prévenu, ce sera le choc des titans. » J’avalais sa mégalo comme une boisson énergisante. Il arrive du bout de la rue, tête baissée, un peu penchée de côté, la démarche résolue et nerveuse, remonte ses lunettes d’un doigt : — Jacques, désolé, je vais être génial, je vais t’écraser, c’est Cassius Clay contre Frazier ! Anquetil bat Poulidor ! Je suis blindé, tout avec lui est compétition, un foot de récréation et c’est France-Brésil. — Francis, dis-je sans trop y croire, attends-toi au pire, dès le premier round, je te mets KO. On s’embrasse et on se quitte en riant. Le concours démarre…(…)Au « débriefing », il m’explique : — Tu as vu, je te l’avais dit, on est deux génies (…)
Grâce Kelly, trouble princier
Son altesse sérénissime, impassible et complice, lance, avec une impatience très mesurée : — Et si nous prenions un verre en attendant Robert ? (…) Au bar sombre et cosy, nous sommes seuls et trinquons ; sa coupe de champagne choque mon double whisky, le son cristallin et fragile augure peut être les instants qui vont suivre. Dans ma tête, je me récite mon enfance, me revois pauvre chez les riches du lycée Pasteur, pantois devant les messes de couronnement commentées par Léon Zitrone. Je respire son parfum, sa main me frôle, son regard me caresse, elle est ma reine, je suis son Ruy Blas… Dans ce bar à midi où mon sort se dévoile. Je suis le ver de terre amoureux d’une étoile. Ma princesse, j’en jurerais, se trouble de mon trouble, douce et d’une infinie tendresse, me fait la conversation, parle de « notre métier », Hollywood devient un faubourg de la Comédie-Française, Alfred Hitchcock et Cary Grant des camarades de jeu. Mais derrière les mirages et miracles de l’instant, quelque chose de plus rare apparaît et grandit. La nostalgie secrète d’une existence nue sans la pantomime des institutions, le fardeau des libertés désormais restreintes (…) Robert propose sa voiture avec chauffeur. — Je vais rentrer à pied. Jacques, vous voulez bien m’accompagner ? Paris est soudain en noir et blanc comme un cliché de Doisneau, ça sent le métro, balance Gabin, les cendres de la clope de Prévert tombent sur mes chaussures(…) Grace me prend le bras, nous remontons les Champs-Élysées… l’Étoile est encore loin, très loin.
Maxime Le Forestier, l’ami
Maxime fréquente le dictionnaire plus que le missel, aime les chevaux et les chiens. Il parle peu, écoute beaucoup, en connaisseur ses mots sont choisis, ses phrases brèves ne flottent pas, un silence précède et conclut. Il fut bon élève de violon, déclina le latin puis gratta une guitare, blanchit les nuits en fumant des pétards. Écrivit des chansons qu’on chantonne une vie entière, qui sitôt entendues révèlent les photos d’une décennie. La maison bleue dit encore une époque où les jours explosaient en bombe de couleurs comme ces fêtes indiennes où des poudres multicolores unissent les foules d’une joie sauvage et sacrée.
Emmanuelle Bercot et l’adieu à un frère
Le premier jour de tournage, je suis triste et inquiet ; mon frère, je viens de l’apprendre, vit ses derniers jours. Le plateau ne me fait plus peur, au contraire, il devient le lieu paisible de mon existence loin de cette vraie saloperie de cancer, comme me l’a dit Bernard. Emmanuelle est venue me saluer, je redoute les pleurnicheries, je respire, me calme et balance tout. Emmanuelle se tait, me regarde, fort, très fort(…)Elle comprenait que les mots trop souvent creusent le sillon des larmes sur les joues (…) je ne pouvais rien contre le cancer de mon frère mais j’aurais pu et dû lui dire que je l’aimais. (…) Emmanuelle demande le moteur l’air de rien, combien ai-je aimé cet « air de rien » où tout est accueilli à bras ouverts. L’air de rien qui fait escorte à la majesté d’un moment. La scène se passait chez un psy, le regard de Frédéric Pierrot si tendre, semblait m’encourager à briser la dernière digue, à naufrager le texte pourtant si bien pensé. Un sanglot m’envahit, mon corps tressauta… J’ai crié de rage, comme si je m’adressais à je ne sais quelle chimère de la destinée : — Ça va, ça va ! Et puis ? Et puis rien… Emmanuelle ne dit rien, la caméra tourne. — Coupez ! Fourbu, je reprends mon souffle, tremble comme un cheval s’ébroue. Emmanuelle s’approche, pose sa main sur ma cuisse, ni fort ni faiblement, juste comme ça, sans me regarder. Mon frère est mort et le tournage s’est conclu.
Cet article est à retrouver dans Gala N°1551, disponible dans les kiosques depuis ce jeudi 2 mars 2023.
Crédits photos : BERTRAND RINDOFF PETROFF / BESTIMAGE
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