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Alain Delon, les années Nathalie
Ils se sont follement aimés. Elle est la seule femme qu’il a épousée. Et la mère de son fils Anthony. Elle est morte le 21 janvier.
Ce 2 janvier, ils se sont faits beaux tous les deux. Anthony avait prévenu son père. S’il voulait voir «Nath» une dernière fois, il devait faire vite. Alors Alain n’a pas traîné, il est arrivé de Douchy, a grimpé jusqu’à l’appartement sous les toits face à une église qu’il n’a pas regardée. Pour éviter de penser que, bientôt peut-être, il y serait convié. Et ils ont parlé de tout, sauf de l’essentiel. Puis ils se sont dit au revoir mais en prenant soin de ne pas jouer la scène de l’adieu. Comme il était loin le temps de la Buick décapotable…
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Cinquante-huit ans plus tôt, devant une HLM de Mandelieu, Alain Delon ne prend pas le temps de se garer. Il lance des coups de Klaxon, elle apparaît à la fenêtre, hâlée sous un simple tee-shirt. Il a 28 ans, il est une star; elle est une inconnue de 21 ans. «Quelques instants plus tard, Nathalie arrivait en courant, un sac sur l’épaule. Je lui ai laissé ma place en me calant tant bien que mal à l’arrière.»
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Le cascadeur Yvan Chiffre, engagé pour régler les combats de «La tulipe noire», pense encore qu’Alain est fiancé à Romy Schneider. Deux heures plus tôt, ils ont déjeuné tous les trois à Nice. Chiffre va faire le voyage jusque sur le lieu du tournage, en Espagne, coincé à l’arrière de la voiture de sport. Tout le temps d’observer, fasciné. Les profils parfaits, les mentons insolents, la mèche rebelle. Et cette lumière de la jeunesse… On dit qu’Alain et Nathalie se ressemblent comme frère et sœur. D’une certaine façon, ils le sont. Deux «enfants de divorcés», comme on dit à l’époque.
En amour, Nathalie cherche le combat de gladiateurs plutôt que la musique de chambre. Lui aussi
Nathalie a grandi au Maroc. Au départ, elle s’appelle Francine. Son père, elle l’a vu deux fois, à 8 ans, puis à 14. Sa mère est passée par tous les états: divorcée, remariée, veuve, encore remariée. Et, à 16 ans, Francine s’est mariée à son tour. Pour avoir «sa» famille à elle. Elle a raconté comment «Nuit et brouillard», le film d’Alain Resnais sur la déportation, avait mis fin au malentendu conjugal: «Je sanglotais. Alors, il [son mari] m’a dit: “Je t’en prie, après tout, ce ne sont que des Juifs…” Dans mon cœur, à ce moment-là, j’ai divorcé vraiment.» Mais Nathalie ne pourra jamais oublier la blessure qui ne fait que se creuser avec le temps: «J’étais très jeune, je ne connaissais pas la loi. Et puis c’était au Maroc. Et les femmes, là-bas…» Pour cause d’adultère, la garde de sa fille lui est retirée. L’enfant s’appelle Nathalie, ce prénom qu’elle va adopter comme on porte un médaillon caché sous sa chemise.
Seule, elle arrive donc à Paris. On est en 1961, elle a 20 ans et décide de devenir reporter-photographe. Drôle d’idée pour une jolie fille. On lui conseille plutôt mannequin. Elle habite un petit hôtel, sort beaucoup. Notamment au New Jimmy’s, la boîte de Régine à Montparnasse. C’est là qu’un soir, le temps d’un slow, elle laisse son sac sur une banquette. A son retour, un garçon est vautré dessus. Elle lui demande de se pousser. Il fait le malin, l’envoie promener. Elle lui répond vertement, le bouscule et s’en va. Dans la pénombre, elle n’a pas reconnu Alain Delon. Quelques heures plus tard, la voilà attirée au Club de l’Etoile, une boîte de jazz, par son danseur de slow. L’endroit est à peu près vide quand elle y arrive. Sauf une bande de jeunes hommes arrogants, assis à une table. On lui présente Alain. Un traquenard sans doute, mais qui irait s’en plaindre? Alain se lève pour la saluer, puis s’écroule sur elle. Ce n’est pas un coup de foudre, mais une crise de foie. Il a trop bu. La minijupe écossaise ne sort pas indemne de cette première rencontre. Nathalie se précipite au lavabo. Alain la suit, se confond en excuses. Il ne fait plus le malin, ça finit par être drôle. Elle accepte de le raccompagner. Il marche, appuyé sur son épaule. Les voilà avenue de Messine, près du parc Monceau, dans l’hôtel particulier où il doit vivre avec Romy. Enfin, c’est ce qu’on dit. Parce que c’est déjà de l’histoire ancienne: la leur commence.
Et c’est ainsi qu’Alain Delon va entraîner Nathalie Canovas sur un tournage où, écrit-elle dans «Pleure pas, c’est pas grave», «tout devint magique, mais mouvementé aussi. Il n’avait pas l’habitude qu’on lui tienne tête. Moi non plus». Tout est dit. «On s’est aimés entre le rire et la fureur.» «C’était le combat du pot de fer contre le pot de fer. Ça ne pouvait que faire des étincelles.» En amour, Nathalie cherche le combat de gladiateurs plutôt que la musique de chambre. Est-ce pourquoi il l’a tant aimée, lui, le macho qui ne respecte que ceux qui le défient? Elle restera sa seule épouse, l’inconnue qui a détrôné l’impératrice Sissi et fait de lui le roi du monde en lui donnant un fils, celle à qui il a promis une fidélité à la fois relative et absolue, cette spécialité Delon. Leur ambition est démesurée: ensemble, ils veulent réussir où leurs parents ont échoué et se réparer l’un l’autre… Le mariage est célébré à mille lieues de la Croisette, dans un petit village du Loir-et-Cher. Delon a voulu une fête de «famille» comme il n’en a jamais eue, avec sa mère «qui fait comme si», et son père qui filme en super-8 un Visconti en veste de tweed. La mariée arbore un joli ventre rond en se moquant de ce qu’en diront les bourgeois. Elle accouchera un mois et demi plus tard, à Los Angeles, alors qu’Alain s’est lancé à la conquête de Hollywood. Il prononce des phrases définitives comme: «Avant, je vivais en égoïste. Maintenant, tout est fonction de mon foyer. De ma femme, de mon fils.» Nathalie ne s’intéresse pas au cinéma.
Au bout de deux ans et six films, Delon comprend qu’il ne sera jamais Cary Grant: «J’ai trop besoin de mon bistro, de mon morceau de pain.» Raisonnable? Pas avec Nathalie, en tout cas. Elle se dit «chat sauvage»; lui est tellement «guépard» que son public a du mal à croire que le rôle-titre du nouveau Visconti ne lui revienne pas. Pour le dompter, Jean-Pierre Melville lui propose «Le samouraï». Il croit avoir trouvé la geisha idéale quand il aperçoit Nathalie. Mais Alain ne veut pas d’une femme comédienne. Il a la colère froide et fait ce qu’il sait si bien faire: se rendre odieux. Qu’à la cantine il l’envoie s’asseoir à «la table des débutants» ou qu’il joue le «baiser de cinéma» comme si elle était un porte-manteau, elle enrage mais, en professionnelle, attend le dernier clap. Alors, devant toute l’équipe, elle lui assène une de ces gifles à toute volée dont elle a fait un grand art. C’est la rupture. Ou plutôt sa répétition générale. «Nous avons mis deux ans à nous séparer», confiera-t-elle. Au milieu de ces allers-retours, Jean-Claude Sauer, pour Paris Match, saisira la scène du banc d’Arguin, ce repos des guerriers sur le sable. L’océan limpide cache des courants violents.
Le fauve se fait saint-bernard et emmène Nathalie dans un centre de désintoxication en Suisse
«Avec Alain, j’avais rêvé d’un amour fidèle. Quand j’ai appris qu’il travaillait à se constituer un harem, je me suis appliquée à rattraper mon maître.» C’est à qui renchérira sur l’autre. En août 1966, elle a disparu un mois avec leur fils. Il passe au JT de 20 heures pour annoncer leur divorce. Afin de le punir, elle couche avec Stevan Markovic. Deux ans plus tard, l’assassinat du secrétaire-garde du corps, trop joli garçon pour un voyou, sera à l’origine de ce qui ressemble au plus tordu des coups tordus de la Ve République. Nathalie ne comprend pas pourquoi elle doit expliquer aux policiers que sa liaison avec le protégé de son ex-mari n’était que l’histoire d’un soir. Elle approche de la trentaine mais garde son insolence de gamine. Et sa fierté. Même de son divorce avec la plus populaire des stars françaises, elle n’a pas voulu faire une mine d’or: elle est partie en laissant tout derrière elle. Il lui a fait porter deux malles avec ses tailleurs Chanel. A elle qui ne va plus s’habiller qu’en jean. Mais il a insisté pour qu’elle garde son nom, parce qu’il est aussi celui de leur fils.
Les hommes vont se succéder dans la vie de Nathalie. Jamais ceux avec qui elle pourrait envisager un avenir rangé. Elle se définit comme une «cigale de l’amour», mais d’une espèce qui pique. Téméraire, inconsciente, elle skie, plonge, conduit trop vite, avoue qu’elle n’a eu besoin de personne pour «plonger dans la poudre»: «Je ne suis ni bien ni mal placée pour faire une thèse sur les drogues en général, mais si je parle de l’héroïne en particulier, c’est parce que j’y ai succombé et je ne m’en vante pas», écrira-t-elle en 2006. Trop de ses amants se sont suicidés ou sont morts d’overdose, à commencer par le beau Marc Porel. Elle essaie d’abord de s’en sortir seule, adressant un doigt d’honneur à son dealer. Mais, après quatre ans d’addiction, il lui faut bien admettre qu’elle a besoin d’aide. C’est-à-dire d’Alain. C’est lui qui, en 1975, la conduit dans un centre de désintoxication en Suisse. Pour l’animal blessé, le fauve se fait saint-bernard.
D’Alain Delon, elle disait: «Il n’est pas l’homme de ma vie, il est l’homme de ma jeunesse.»
Enfin, elle semble avoir atteint l’âge de raison. Mais il y a un adolescent à la maison: Anthony qui, à 14 ans, demande à aller vivre chez son père. Elle est désespérée, a peur de Paris sans lui. Elle ne prend pas la fuite, ce n’est pas son genre… Pourtant, ça y ressemble. A la veille de ses 40 ans, Nathalie Delon va faire le grand saut. Les Etats-Unis, pour quelques mois. En réalité, elle y restera vingt-cinq ans. De tous ses coups de cœur, celui pour la station de ski de Sundance, près de Salt Lake City, dans l’Utah, était le plus imprévisible. Dans sa maison des bois, au bout d’un petit chemin qui ne mène nulle part, la vagabonde a trouvé sa place, squaw sauvage et solitaire, adoubée par les Indiens. Actrice, elle est passée à la réalisation. On lui dit qu’elle tourne des films de mec? «Pourquoi? Les femmes devraient faire des films où l’on pleure, où l’on se sépare? Une femme peut très bien avoir le courage d’affronter ses problèmes.»
D’Alain Delon, elle disait: «Il n’est pas l’homme de ma vie, il est l’homme de ma jeunesse.» Mais la jeunesse était si solide en elle que, lorsqu’elle a eu le désir de revenir vivre à Paris, près de son fils, de ses petites-filles, c’est naturellement qu’elle a retrouvé Alain qui n’était plus tout à fait Delon. «J’admire ceux qui planifient sur cinq ans. Moi, je prévois le bonheur que va me donner un crépuscule.» Celui qu’elle n’avait pas vu venir, c’est celui qu’il leur restait à vivre.
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