"Zoom-face" : quand la Covid-19 donne des envies de chirurgie esthétique

  • Une explosion des consultations
  • À chacune ses raisons de succomber à l’appel du bistouri
  • En pleine pandémie, un besoin urgent de "prendre soin de soi"
  • Cet emballement sera-t-il durable ?

« Docteur, il faut faire quelque chose, je ne peux plus me voir ! » En mai 2020, dès les premiers jours du déconfinement, Linda Gomis, chirurgienne esthétique en Occitanie, a vu affluer dans son cabinet des patientes paniquées à la vue de leur tête… sur Zoom.

« Elles venaient de passer deux mois en télétravail, face à la caméra de leur ordinateur qui accentue les lignes d’ombre du visage, elles ne se supportaient plus », se rappelle-t-elle. Un phénomène mondial qu’un médecin australien, le Dr Myles Holt, directeur de l’Académie australasienne d’esthétique dento-faciale (AADFA), a résumé sous le nom de « Zoom-face envy » : à force de se voir à l’écran sous un jour peu flatteur, les gens se sont mis à scruter leurs imperfections et à vouloir changer leur apparence.

Une réaction qui s’est traduite par une forte hausse de la demande d’injections d’acide hyaluronique – pour combler cernes et sillons – et de toxine botulique qui détend les muscles. Et ce, même chez des personnes qui n’avaient jamais fait appel à la médecine esthétique.

Une explosion des consultations 

Le Dr Thierry Van Hemelryck, président de la Société française des chirurgiens esthétiques plasticiens (Sofcep)1, se montre toutefois mesuré : ce surcroît d’intérêt pour les « injectables » s’est surtout fait sentir à la sortie du premier confinement, il est moins perceptible aujourd’hui. À cela s’est ajouté un rattrapage mécanique : à la réouverture progressive des hôpitaux et des cliniques aux soins esthétiques, les patientes habituelles ont repris rendez-vous. Il n’empêche qu’il le concède volontiers : si la pression sur les soignant.e.s reste forte au niveau national et freine donc certaines opérations, « on continue de percevoir une augmentation globale dans les régions peu touchées ».

Une tendance nette pour Thomas Colson, chirurgien esthétique à Pontoise, dans le Val-d’Oise : « En 2020, en neuf mois d’activité, j’ai réalisé autant d’opérations que l’année précédente. J’ai aussi vu mes délais de consultation s’allonger de plusieurs mois. » Avec la généralisation des téléconsultations, il note que ses patient.e.s viennent même de plus loin. Quant à l’agenda opératoire de la Dre Linda Gomis, il est passé d’un mois et demi à trois mois.

À chacune ses raisons de succomber à l’appel du bistouri

En dehors du « Zoom Boom », d’autres raisons expliquent cet engouement, à commencer par la plus grande disponibilité des patientes.

Isabelle, 43 ans, tient un salon de coiffure près de Liège, en Belgique. Quand le reconfinement a démarré chez elle, le 2 novembre 2020, elle y a vu l’opportunité de se faire opérer : « En tant qu’indépendante, je ne peux d’habitude jamais compter sur plus d’une semaine de repos. Puisque je ne pouvais plus travailler, j’ai décidé de faire remplacer ma prothèse mammaire. » L’opération s’est si bien passée qu’elle est retournée voir sa chirurgienne en janvier, cette fois pour une liposuccion : « Durant le premier confinement, nous avons bien profité du jardin. J’étais plus relax, je ne travaillais plus, on a fait beaucoup d’apéros… J’ai pris huit kilos. » Elle a essayé de les perdre mais, lassée de faire le yoyo, a préféré recourir à la chirurgie.

Léa, 29 ans, parisienne, a elle aussi pris huit kilos dans un contexte différent : « Moi qui allais à la salle de sport trois à cinq fois par semaine le midi au boulot, j’ai dû arrêter. Mon ventre est devenu énorme. En septembre, je ne supportais plus de me voir dans le miroir. » Elle s’est fait opérer en novembre d’une liposuccion. « Je me suis renseignée sur Internet pour trouver un chirurgien. Ça a été très rapide. » Elle souffrait depuis longtemps d’un problème de poids, ces kilos supplémentaires et la situation l’ont décidée : « Faire cette opération pendant le télétravail a été très pratique. J’ai posé quatre jours, puis passé ma convalescence chez moi. » Les suites postopératoires facilitées par le travail à la maison reviennent souvent dans les raisons invoquées, tout comme le port du masque.

Mon ventre est devenu énorme. En septembre, je ne supportais plus de me voir dans le miroir.

Lucie, 33 ans, Lilloise, se félicite ainsi d’avoir pu reprendre son travail de kinésithérapeute dix jours après sa rhinoseptoplastie – correction d’une déviation de la cloison nasale couplée à une rhinoplastie esthétique – « grâce au masque qui cachait un nez encore très gonflé et quelques hématomes ».

La médecine esthétique a aussi joué un rôle de coup de pouce face au choc de la pandémie. Delphine, 42 ans, gérante d’une agence immobilière dans la périphérie parisienne, a perdu son père de la Covid-19 en mars 2020. Cheffe d’entreprise, elle a aussi dû gérer l’incertitude économique et le stress de ses collaborateur.rice.s. « En janvier, j’en ai eu assez que l’on me dise que j’avais l’air fatigué, raconte-t-elle. Mon visage était marqué par tout ce que j’avais vécu depuis un an. Je suis allée voir mon dermato. Une injection d’acide hyaluronique, ça n’est pas un lifting, juste un coup d’éclat. Trois jours après, on me félicitait pour ma bonne mine ! »

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En pleine pandémie, un besoin urgent de « prendre soin de soi »

Autant d’actes facilités par la réorganisation du budget « En temps normal, les soins esthétiques ne sont pas perçus comme prioritaires, rappelle le Dr Thierry Van Hemelryck. Mais aujourd’hui, avec la fermeture des restaurants, la limitation des loisirs et des voyages, les gens cherchent à se faire plaisir avec ce qui reste autorisé. » Ils veulent aussi se faire du bien : « Durant le premier confinement, beaucoup ont profité du temps qu’ils avaient pour cuisiner, se renseigner sur des tutos beauté ou lifestyle, note Oren Marco, chirurgien plasticien dans le 1er arrondissement de Paris. La chirurgie et la médecine esthétiques font partie de cet écosystème. »

Avec le second confinement, plus anxiogène, le besoin de prendre soin de soi est monté d’un cran. Des patientes sont venues le voir pour atténuer cernes et poches. Au-delà de l’aspect esthétique, il y voit une forme de lutte : « On cherche à ne pas s’avouer vaincu par le contexte. »

Un constat que partage Isabelle Sansonetti, journaliste beauté auteure de J’y vais, j’y vais pas ?, guide pratique des techniques de médecine et de chirurgie esthétiques2 : « S’occuper de soi dans un contexte où tout nous échappe, c’est un moyen de reprendre le contrôle de sa vie. »

Cet emballement sera-t-il durable ?

Lorsque le Covid sera derrière nous, les chirurgiens esthétiques ne seraient pas étonnés que leur profession marque momentanément le pas. « Les gens auront plus envie de sortir et de partir en vacances que d’aller à l’hôpital », suppose le Dr Thomas Colson. Pourtant, les chiffres officiels de la Société internationale de chirurgie esthétique et plastique (Isaps) montrent une augmentation du nombre d’actes, tant en chirurgie (+ 7,1 % en 2019) qu’en médecine (+ 7,6 %) esthétique.

La Dre Linda Gomis en est convaincue : les mentalités françaises évoluent, la pandémie n’a fait qu’accélérer le mouvement. « On avoue plus facilement un ‘coup de frais’, le sujet est moins tabou », relève-t-elle. L’impact des réseaux sociaux, devenus omniprésents depuis les confinements, n’est pas pour rien dans ce changement. « À force d’y voir des gens sublimes, certains développent une forme d’envie », remarque le Dr Thomas Colson. Il estime à 15 % la part de patientes qui, venues pour une augmentation mammaire, lui donnent pour modèle des photos vues sur Instagram.

Les médecins interrogés observent d’ailleurs un rajeunissement de leur patientèle. Faut-il pour autant y voir une banalisation de la chirurgie esthétique ? Isabelle Sansonetti n’y croit pas. « Changer son apparence n’est jamais anodin, prévient-elle. Il s’agit d’un acte lourd et contraignant, avec des risques de complications ou de déception quant au résultat. Pour être satisfaite, il faut y aller au bon moment pour soi, sans être bousculée. » Même par temps de pandémie, une opération ne se décide pas sur un coup de tête. 

1 chirurgiens-esthetiques-plasticiens.com
2 J’y vais, j’y vais pas ?, guide pratique des techniques de médecine et de chirurgie esthétiques de Isabelle Sansonetti, Éditions JC Lattès. Disponible sur Place des Libraires ou Amazon

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