Senteurs et sans reproche : la parfumerie passe en mode "green"

Après les soins, c’est au tour des parfums de s’inscrire dans une démarche écoresponsable. Senteurs et sans reproche ?

«Il y a quinze ans, la RSE (1) n’intéressait personne. Les parfums végans, écoresponsables…, ce n’était pas du tout nous. Mais le monde a changé…», avoue Philippe Bénacin, le dirigeant des parfums Rochas, qui lance Girl, une eau de toilette destinée à la green génération. De la formule au mannequin non retouché, rien n’a été laissé au hasard pour chatouiller les narines écolos. Cette nouvelle création intègre même une dimension bien-être : «Spray good, feel good.» «Girl contient 40 % de matières d’origine naturelle, ce qui est un vrai challenge, et, en plus, elle fait vraiment du bien», annonce la parfumeuse Anne Flipo, qui l’a composée. Une démarche holistique à 360 degrés de moins en moins marginale.

«Depuis quatre ou cinq ans, les études montrent une véritable attente des consommatrices pour plus de transparence et de formules safe, note Valérie De La Peschardière, directrice de l’innovation en charge du développement du naturel chez Givaudan. Et encore plus depuis un an. Aujourd’hui, on ne veut pas seulement des pschitts bons pour la santé, mais aussi pour l’environnement, et la parfumerie se sent de plus en plus vertueuse.» La plupart des nouveaux projets intègrent la dimension sociétale et environnementale de A à Z : c’est le cas de My Way , de Giorgio Armani, qui atteint la neutralité carbone dès son lancement, en replantant 650 hectares de forêt tropicale, et s’engage à réduire son empreinte carbone de 25 % supplémentaire d’ici à 2025. Flacon rechargeable, ingrédients naturels de source responsable à travers des programmes menés en collaboration avec des ONG locales… Il ne coche pas toutes les cases «sustainability» mais presque.

De la fleur à la peau

Jasmin d’Inde ou d’Égypte, santal d’Indonésie, vétiver d’Haïti, vanille de Madagascar, rose du Maroc ou de Turquie, agrumes de Sicile ou de Tunisie… En vingt ans, toutes les grandes maisons ont mis en place des filières durables de commerce équitable avec les producteurs locaux et amélioré les pratiques agricoles. Quand elles le peuvent, elles transforment la matière sur place avec moins d’eau et d’énergie. Beaucoup travaillent à des formules biodégradables avec de l’alcool de blé ou de betterave bio. Mais ce n’est pas si simple. «Tous les ingrédients naturels ne sont pas écoresponsables», note Judith Gross, des Laboratoires Monique Rémy. Érosion des sols, épisodes climatiques violents, corruption… Si les belles matières naturelles restent irremplaçables, la planète a ses limites…

Pour maîtriser ses ressources, le monde du luxe se relocalise en France, notamment à Grasse, fief des Chanel, Dior ou Vuitton, mais ça ne suffit pas. Parfois, les notes de synthèse qui font hurler les puristes s’avèrent plus écolos que la fleur du bout du monde. Firmenich, Givaudan, IFF, Mane, Robertet, Symrise, Takasago… Ces noms ne vous disent rien, mais la plupart de vos parfums sont nés dans ces pépinières olfactives rivalisant d’innovations pour obtenir des ingrédients «naturconscious».

En vidéo, l’interview green : le pari du luxe durable de Marina Raphael

Une créativité libérée

La profession a fait un premier pas avec les extractions à froid ou au CO2 supercritique, la distillation à la vapeur d’eau, des nouveaux modes d’enfleurage, et la chimie verte fait des prouesses. On parle d’écodesign olfactif, de biotech, d’upcycling, de bioswitch, de matières chirales… Tous ces noms barbares visent à réduire l’impact environnemental et à offrir au parfumeur une nouvelle palette olfactive. On crée des molécules odorantes à partir de réactions enzymatiques ou de déchets des autres industries, par exemple des essences de pêche 100 % naturelles à partir de la purée de fruits récupérée de l’industrie des jus, du menthol avec des copeaux de pin… I’am Trash d’État Libre d’Orange a été élaboré à 100 % avec des déchets de fruits et végétaux. La rose d’Angel Nova de Thierry Mugler est en partie «upcyclée ». Quentin Bisch, un des parfumeurs en vogue, signe l’Eau de Parfum Bois Impérial pour Essential Parfums. L’accord, naturel à 93 %, se construit autour d’un bois précieux, l’Akigalawood, une nouvelle matière première obtenue à partir des chutes de patchouli cultivé et récolté durablement.

Autre grand souci : les flacons. En 1992, Mugler (alors sous la bannière Clarins) a eu du flair avec son flacon étoile ressourçable. Chez Caron, Guerlain ou Hermès, les fontaines à parfums existent depuis longtemps. Aujourd’hui, les écorecharges se multiplient. Même Sauvage de Dior a la sienne, et Sephora offre une réduction si on rapporte son flacon de verre… Et le rêve dans tout ça ? «La difficulté libère la créativité», répondent les nez.

La nouvelle niche

Tandis que les grands s’adaptent, certains entrent d’emblée sur le terrain en réconciliant luxe et écologie. Sans suremballages et au juste prix. C’est le cas de David Frossard, spécialiste des parfums rares, cofondateur du bar à parfums Liquides qui lance aujourd’hui sa marque. Obvious, comme évidence, élégance, made in France, indépendance… Il privilégie le naturel sans diaboliser la synthèse, l’alcool de dilution biologique, les flacons en verre recyclé et recyclable, les capots en liège sans insert en plastique et étuis en papier recyclable au colorant naturel (obviousparfums.com ou Le Bon Marché). On voit aussi Le Jardin Retrouvé, une des premières marques de niche, créée par Yuri Gutsatz dans les années 1970, renaître sous l’impulsion de son fils et de son épouse dans une démarche écofriendly avec des formules à plus de 90 % naturelles. L’occasion de (re)découvrir quelques pépites comme l’Eau des Délices, Citron Boboli, San-dalwood Sacré… Chaque flacon est rechargeable, non serti, sérigraphié et vendu dans des pochons en tissu indien uniques (lejardinretrouve.com).

Camille Goutal et Isabelle Doyen ont quitté l’aventure Goutal mais pas la passion des odeurs. Avec leur collection Voyages Imaginaires inspirée par des évasions réelles ou fantasmées, elles ont fait le pari de n’utiliser que des matières premières naturelles dans de l’alcool de blé bio. Un parti radical, onéreux, mais cohérent. La marque 100Bon propose, elle, 29 eaux et concentrés 100 % naturels et made in France. Les nouvelles fragrances Korrès ont éliminé tous les composants suspects tels le musc polycyclique. Comme Le Couvent des Minimes, une des premières marques à s’être revendiquée végane. Sans oublier les pionnières du bio : Honoré des Prés, Acorelle, Teo Cabanel, Florame, Aimée de Mars… Plus simples et artisanales, elle ont le mérite d’avoir senti le vent tourner avant tout le monde.

(1) Responsabilité sociétale des entreprises.

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