Les femmes qui se rasent le visage, une pratique (trop) répandue ?
Se « raser la moustache », avoir le visage « qui pique » … Les semi-blagues reloues associées à la pilosité plus ou moins apparente des visages féminins en disent bien souvent long sur la portée d’une injonction contemporaine – celle de l’épilation à tout prix. Or dans une société où le poil est condamné lorsqu’il est féminin, une pratique comme celle du rasage du visage n’est (vraiment) pas rare chez les femmes. Elle date, même.
Saviez-vous que des icônes de l’usine à rêves comme les comédiennes Marilyn Monroe et Elizabeth Taylor se rasaient régulièrement le visage afin de lutter contre les « poils indésirables », dixit le Hollywood Reporter ? Un diktat de beauté qui nous paraît plutôt vintage à l’heure des nouvelles révolutions féministes. Mais qui hélas est loin d’être désuet en pleine ère TikTok, entre deux posts ou vidéos d’influenceuses beauté.
Et les voix critiques de s’interroger de plus en plus sur le pourquoi de cette pratique.
Un rituel répandu ?
Le rasage du visage féminin, des pattes aux poils de la lèvre supérieure en passant (parfois) par les sourcils, serait une pratique répandue. Tout du moins, bien plus qu’on ne pourrait le penser. C’est ce qu’affirme le Wall Street Journal dans sa très sérieuse chronologie retraçant les origines historiques de la chose.
A en croire le média, études des estampes japonaises du 16e siècle comme recherches dédiées à la reine d’Angleterre Elizabeth I (ayant lancé la mode de l’épilation des sourcils durant son règne) démontrent que l’épilation et le rasage des poils du visage n’a eu de cesse de perdurer chez les femmes à travers siècles et représentations diverses. Un rasage si spécifique qu’il porte aujourd’hui un nom : le dermaplaning. Pas besoin d’explorer les archives pour dégoter quelques exemples de cet autoproclamé « soin de la peau ».
Sur TikTok et YouTube, des influenceuses beauté comme Jaclyn Hill et Jackie Aina « dermaplanent » volontiers à l’adresse de leurs dizaines de milliers de followers. Les tutoriels comme celui de Hill, visionné plus de deux millions de fois, ne manquent pas sur la plateforme de vidéos pour qui souhaiterait s’y adonner. Un mot-clé comme « face shaving » engendre son lot de tutos similaires, comme celui de l’influenceuse Sagonia Lazarof, à deux doigts de la barre des cinq millions de vues, et commenté plus de 3 500 fois.
A travers le dermaplaning s’immiscent bien des légendes, comme cette manière d’associer la pratique aux icônes de beauté type Marilyn. Entre les lignes, c’est une forme d’idéal physique qui serait à atteindre.
Car pourquoi se raser le visage, à l’image de toutes ces créatrices stylées ? Pour obtenir une peau plus douce et lisse, lutter contre les rides, éliminer les peaux mortes, « rafraîchir » son épiderme, détaille le Guardian. « Apparence radieuse et magnifique, jeunesse éternelle », tels sont les avantages énoncés (non sans ironie) par le journal britannique. De légers sarcasmes qui se passent de commentaires. Mais ne laissent personne vraiment insensible au fond.
Un phénomène critiqué
D’autant plus quand réseaux sociaux et publications hype tendent à nous présenter la chose comme une tendance chic. Ce qui fait volontiers grincer des dents. Si le dermaplaning est vanté par certains dermatologues et spécialistes beauté, mais aussi pratiqué par des célébrités outre-Atlantique (comme la star de télé-réalité Caroline Manzo), pas besoin de décortiquer le phénomène pour comprendre que sa médiatisation, et sa normalisation, s’appuient majoritairement sur des arguments archaïques et âgistes comme il faut.
Car en se rasant le visage, il s’agit avant tout de « garder la peau jeune » et de faire la chasse aux poils revêches. Comme pour se soulager du poids d’un temps que l’on redouterait. Bref, « c’est une mauvaise idée pour les femmes de se raser le visage », proteste une tribune du Guardian, qui pose la question : « Une femme du 21e siècle a-t-elle vraiment le temps ou l’envie de se raser tout le visage pour une peau un peu plus douce, dans un monde qui réprime toute trace de poils sur le visage de la gent féminine ? ».
Question rhétorique, on l’imagine.
A en lire ce coup de gueule, l’argumentaire anti-âge serait absurde dans la mesure où d’autres éléments qu’un simple rasage (comme l’épaisseur de la peau, la production d’androgènes masculins, la densité de collagène) explique la différence de visibilité des rides entre un visage masculin et un visage féminin. Rasage d’autant plus déconseillé qu’au lieu de rendre la peau plus douce, ses effets, a contrario, peuvent être inflammatoires.
A cela faut-il ajouter que le dermaplaning est, sans surprise, un vrai business. En effet, des gammes spécifiques de tondeuses et rasoirs ont été mises sur le marché à cet effet. A des prix pas forcément accessibles pour ce que le journal britannique considère avant tout comme « des rasoirs fantaisies ».
Une pratique critiquée, et dans l’air du temps ? Ce n’est pas impossible. Tel que le rappelle cette étude historique de CNN, cela ne fait que depuis le 20e siècle que l’absence de pilosité sur le corps des femmes a été établie comme une norme sociale. Norme que bien des mobilisations féministes, du côté de l’activisme digital notamment, bousculent désormais – et c’est tant mieux.
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